Dans un contexte de normalisation des politiques monétaires, la problématique des coûts de couverture est à surveiller de près. Erick Muller, directeur de la stratégie d'investissement de Muzinich & Co, décrypte la mécanique et la conséquence de ce facteur dans une allocation d’actifs.

AOF - Pouvez-vous rappeler quel est le mécanisme derrière les coûts de couverture (hedging costs) ?
E.M - Lorsqu'un investisseur basé en euro achète un actif (action, obligation) en dollar, il doit vendre (ou prêter) ses euros pour acheter (ou emprunter) des dollars et ainsi réaliser sa transaction. De ce fait, il prend un risque de change lié à la parité euro/dollar, à savoir que la valeur de ses actifs évoluera au gré de l'évolution du taux de change. Or, la volatilité sur le marché des changes est 2 à 3 fois supérieure à celle que l'on observe que le marché des taux donc une opération non couverte est soumise à une volatilité globale bien plus importante. Traditionnellement, les investisseurs du marché des taux craignent une telle volatilité des changes car les rendements obligataires sont plus limités alors ils se couvrent contre le risque de change.

AOF - Auriez-vous un exemple pour illustrer l'impact du taux de change sur une allocation d'actifs ?
E.M -
Aujourd'hui, le taux de couverture, c'est-à-dire le montant que l'on paye pour se couvrir contre le risque de change EUR/USD, est de 2,30% et dépend de l'évolution des taux courts entre les deux devises. Cela signifie que je paye environ 2,30% du montant de mon investissement au titre de la couverture. Si, en tant qu'investisseur européen, j'investis dans du high yield américain qui offre un rendement moyen de 6,00%, je toucherai un rendement annuel net (rendement moyen - taux de couverture) de 3,7%. Parallèlement, le rendement du high yield zone euro s'élève à 2,75%. A ce stade, on se dit que le papier américain est plus intéressant que son équivalent européen mais, une fois ajusté du risque de crédit et de la duration, la prime n'est plus que de 20 cents par an environ. Une question se pose alors : est-ce que cela vaut la peine de rester ?

AOF - Quel est le critère qui permet d'apporter une réponse à cette question ?
E.M -
Il faut intégrer le caractère plus ou moins prévisible de l'évolution des taux courts dans un contexte de normalisation des politiques monétaires. Si la Fed remonte ses taux et que la BCE ne modifie pas les siens, le taux de couverture pour un Européen qui investit en dollar va croitre parallèlement : une hausse de 25 points de base des taux de la Fed le fera passer à 2,55% et ainsi de suite à chaque relèvement. De ce fait, la prime modeste va totalement disparaitre puisque je devrai acquitter un prix plus élevé pour me couvrir contre le risque de change. Dans ce contexte, la situation va vite devenir compliquée pour un investisseur européen avec la divergence des politiques monétaires : le coût de couverture va croitre, et donc rogner le rendement qu'il peut espérer sur un papier américain, alors que la valeur de ses actifs domestiques ne sera pas affectée. Il se retrouve dans une "trappe" et peut difficilement en sortir.

AOF - Et quelle est la situation pour un investisseur en dollar ?
E.M - Si je suis investisseur basé en dollar qui investit en euro, le coût de couverture de change est à mettre à mon crédit et s'ajoute au rendement du papier européen que je souhaite acquérir, soit 2,5%. Donc, avec un taux de couverture de 2,30%, qui va monter au fur et à mesure que la Fed va relever ses taux, je peux tabler sur un rendement total de 4,80%, voire plus. Dans un contexte de normalisation des politiques monétaires, l'évolution du taux de couverture est bien plus prévisible que le rendement de l'actif lui-même. Un investisseur américain a donc une vraie opportunité de venir investir en zone euro et capturer un rendement dont une grande partie est très prévisible compte tenu de la prudence affichée de la politique monétaire de la BCE. Elle ne veut pas choquer le marché et ne relèvera donc pas brutalement ses taux. De plus, les actifs européens sont sûrs du fait de la solidité des fondamentaux économiques.

AOF - Pour terminer, quels sont les autres choix d'allocation d'actifs que vous défendez ?
E.M - Nous sommes intéressés par le high yield global qui offre une grande flexibilité régionale et permet d'équilibrer entre l'Europe, les Etats-Unis et les émergents. Nous privilégions les prêts d'entreprises syndiqués car, instruments à taux variables, ils offrent une bonne protection contre la hausse des taux longs. Nous misons aussi précisément sur les émergents : selon nous, la croissance devrait y accélérer et nous pourrions avoir de bonnes surprises dans ces régions. Enfin, la gestion flexible nous semble apporter des garanties intéressantes dans un contexte de hausse des taux.