(Répétition sans changement d'une dépêche transmise vendredi)

* La peur du coronavirus reste omniprésente

* La Fed surprend en baissant ses taux en urgence

* Les marchés attendent un geste de la BCE

* L'efficacité d'une réponse monétaire fait débat

par Patrick Vignal

PARIS, 9 mars (Reuters) - Le combat que livrent les banques centrales face à la menace que fait peser le coronavirus sur l'économie mondiale s'annonce indécis et devrait tenir les marchés financiers en haleine pendant de longues semaines.

L'épidémie qui ne cesse de se propager à travers le monde a en effet tout d'un "cygne noir", autrement dit un choc externe imprévu et majeur aux allures de cauchemar pour les investisseurs comme pour les décideurs monétaires, sans parler des gouvernements, souligne Didier Saint-Georges, membre du comité stratégique d'investissement de Carmignac.

Il faut plus de quelques séances pour juger une mesure de politique monétaire mais le débat sur l'efficacité que pourrait avoir la baisse de 50 points de base de l'objectif de taux des "fed funds" annoncée mardi en urgence par la Réserve fédérale fait rage et n'est pas près de s'apaiser.

La banque centrale américaine n'avait plus baissé ses taux entre deux réunions monétaires ni décidé une mesure d'une telle ampleur depuis 2008, soit au coeur de la crise financière.

Les marchés, qui anticipaient une telle mesure mais pas avec autant de précipitation, ont réagi comme si la Fed leur cachait quelque chose puisque les indices de Wall Street ont perdu ce jour-là 3% et que le rendement des emprunts d'Etat américains à 10 ans est tombé sous 1% pour la première fois.

Un rebond des actions américaines a suivi le lendemain, porté principalement par le retour de Joe Biden dans la course à l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle de novembre, mais la tendance baissière a vite repris le dessus.

L'action de la Fed a été motivée par le plongeon des marchés financiers, qui ont vécu lors de la dernière semaine de février leur pire semaine depuis la crise financière, les indices boursiers plongeant en quelques jours en territoire de correction aux Etats-Unis comme en Europe.

LA BCE SOUS PRESSION

Une simple correction, logique en fin de cycle avec des valorisations tendues, ne justifiait pas que la Fed agisse de la sorte, estime Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires d'Allianz GI.

L'efficacité d'une baisse de taux sur un choc d'offre lié au dérèglement des chaînes d'approvisionnement, qui débouchera immanquablement sur un choc de demande provoqué notamment par les mesures de confinement, reste en outre à prouver, selon lui.

"L'intervention des banques centrales à ce stade est inutile, voire malsaine", juge-t-il.

Un avis que ne partage pas Philippe Müller, responsable des thématiques d'investissement chez UBS Wealth Management, qui estime au contraire que les décideurs de la Fed ont eu raison de frapper vite et fort.

"Ils voulaient agir rapidement de manière décisive et ils ont bien fait de le faire", dit-il à Reuters.

"Cela stabilise l'économie et donne également le signal que les banques centrales sont disposées à en faire davantage, en gardant à l'esprit qu'il ne faut jamais sous-estimer leur créativité, mais ce n'est pas un remède contre les effets de la propagation du virus", argumente-t-il.

Une action coordonnée se dessine de la part des instituts d'émission, avec des mesures de stimulation déjà annoncées également en Australie, au Canada, à Hong Kong ou encore en Malaisie, en attendant la Banque centrale européenne, dont la réunion monétaire se tiendra jeudi.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a laissé entendre que sa préférence allait vers des mesures ciblées mais les marchés ne sauraient s'en contenter puisqu'ils évaluent désormais à 90% la probabilité que l'institution de Francfort baisse son taux dépôt de 10 points de base pour le porter à -0,6%.

FUITE EN AVANT

Les banques centrales pourraient donc être condamnées à une fuite en avant par des marchés habitués à les voir éteindre les incendies. A titre d'illustration, la probabilité que la Fed annonce le 18 mars une nouvelle baisse de taux, de 50 à 75 points de base, est déjà évaluée à 100%, selon le baromètre FedWatch de CME Group.

Si l'efficacité des réponses monétaires face au risque sanitaire reste à démontrer, il ne fait plus de doute que l'épidémie aura un impact significatif sur l'économie mondiale comme sur les résultats des entreprises.

D'après les estimations d'UBS, les effets du coronavirus pourraient enlever 10 à 20 points de base à la croissance mondiale cette année et jusqu'à 60 points au produit intérieur brut (PIB) de la Chine.

La croissance de la deuxième économie mondiale tomberait ainsi de 6% à 5,4% en 2020 "avec une catastrophe à attendre pour le premier trimestre", selon Philippe Müller, qui voit un rebond se dessiner dans la deuxième partie de l'année pour se prolonger en 2021.

Si la propagation du coronavirus ne ralentit pas au cours des prochaines semaines, une révision massive des perspectives de croissance mondiale paraît inévitable, prolonge Gilles Guibout, responsable des actions européennes chez AXA IM.

"La croissance faible attendue des résultats pour l'année 2020 pourrait dès lors se trouver anéantie et pourrait justifier une baisse supplémentaire (des actions) compte tenu de valorisations déjà tendues", écrit-il dans une note.

"D'un autre côté, un soutien des banques centrales pourrait réduire encore les alternatives possibles aux actions et limiter ainsi les risques d'une baisse violente", ajoute-t-il.

Les banques centrales pourraient donc une nouvelle fois servir à soutenir les valorisations des actifs risqués plutôt qu'à donner un coup de pouce à l'économie réelle.

"A court terme, seul un soutien budgétaire et l'annonce de plans d'investissements de la part des gouvernements seraient susceptibles d'améliorer les perspectives de croissance", estime Gilles Guibout.

(édité par Blandine Hénault)