Depuis 2018, 465 entreprises ont décidé de faire leurs valises pour s’installer aux États-Unis, et le Texas rafle la mise. Selon CBRE, géant de l’immobilier commercial - qui a elle-même déménagé de Los Angeles à Dallas en 2020 - 209 entreprises ont choisi l’État étoilé comme nouveau point de chute. À l’inverse, la baie de San Francisco a vu 79 sièges sociaux partir, 50 à Los Angeles et 21 à New York.

Même tendance observée chez FDi Markets, un quart des 680 délocalisations aux États-Unis recensées depuis 2019 concernent des entreprises quittant la Californie. Parallèlement, le Texas a attiré près d'un cinquième des délocalisations d'entreprises au cours des cinq dernières années, suivi de près par la Floride (13 %).

FDi Intelligence
Le centre de gravité entrepreneurial américain s’est déplacé de 2 400 kilomètres vers l’est. Selon Forbes, aujourd’hui, le Texas abrite 55 entreprises du classement Fortune 500, soit le nombre le plus élevé de tous les États. De grandes entreprises comme Oracle, Hewlett Packard Enterprise (HPE) et Charles Schwab ont relocalisé leur siège social dans le Lone Star State depuis le début de la pandémie, une décision qui, selon CBRE, peut permettre à une entreprise d’économiser 15 à 20 % sur les salaires de ses employés. Austin a aussi attiré les entreprises d’Elon Musk, abritant X, SpaceX et Tesla.
Meta s’est aussi offert un virage texan. Mark Zuckerberg l’a annoncé dans un communiqué ciselé au millimètre : désormais, la surveillance des contenus Facebook et Instagram sera pilotée depuis le Texas. Son argument ? Éliminer les soupçons de biais idéologique et assurer une modération plus “équilibrée”. Mais selon The Guardian, ce changement ne convainc pas tout le monde. D’anciens employés dénoncent une mise en scène plus qu’une véritable transformation. Meta dispose déjà de bureaux de modération au Texas depuis plus de dix ans, rendant ce déménagement plus symbolique que stratégique. Certains y voient surtout un clin d’œil appuyé à Donald Trump, un repositionnement subtil alors que l’entreprise cherche à ajuster son image face à la nouvelle administration. Fermons la parenthèse Zuckerberg.
Les secteurs de la technologie et de l'industrie manufacturière sont de loin ceux qui ont annoncé le plus grand nombre de délocalisations au Texas, avec respectivement 135 et 120 délocalisations selon le rapport du CBRE.

CBRE
Le Texas a beau être une fournaise en été, avec des températures flirtant avec les 40°C, cela n’empêche pas les entreprises américaines d’y voir un eldorado économique. La principale raison ? Le climat des affaires et le faible niveau d’impôts. Le CBRE et l’enquête menée par Chief Executive auprès de plus de 600 PDG américains, avec des représentants de tous les États, arrivent à la même conclusion : le Texas est le meilleur État pour faire des affaires.

CBRE
Le Texas, c’est un peu le far west fiscal des États-Unis. Pas d’impôt sur le revenu pour les particuliers, une fiscalité ultra-compétitive pour les entreprises, et un tapis rouge déroulé aux nouveaux venus. Le choix est vite fait pour celles qui hésitent entre les côtes encombrées et les grands espaces du Lone Star State.
D’un point de vue purement financier, le Texas offre un avantage indéniable. Le taux combiné d’imposition des sociétés (État + fédéral) y est de 21 %, le plus bas du pays. En comparaison, la Californie impose ses entreprises à des niveaux bien plus élevés :
- Taux fédéral : Toutes les entreprises américaines sont soumises à un impôt fédéral sur les sociétés de 21 %.
- Taux étatique : En Californie, les sociétés de type C (C corporations) sont assujetties à un impôt sur les bénéfices de 8,84 %.
- Franchise Tax : Indépendamment de leur rentabilité, les entreprises doivent s'acquitter d'une taxe minimale annuelle de 800 $.
Impôt sur le revenu des particuliers :
- Taux fédéral : Le taux marginal supérieur de l'impôt fédéral sur le revenu est de 37 %.
- Taux étatique : La Californie applique un taux d'imposition progressif, atteignant jusqu'à 13,3 % pour les revenus les plus élevés.
Cette combinaison d'impôts fédéraux et étatiques place la Californie parmi les États les plus imposés du pays, tant pour les entreprises que pour les résidents.
Mais l’État du Texas ne s’arrête pas là. Il a mis en place un écosystème ultra-friendly pour les affaires. La taxe de franchise, sorte d’impôt sur les entreprises, est quasi anecdotique :
- 0,375 % pour celles générant entre 1,18 et 10 millions de dollars de revenus annuels.
- 0 % en dessous de ce seuil. Autrement dit, si votre boîte démarre avec un chiffre d’affaires modeste, l’État ne prélève pas un centime.
Ce cocktail de fiscalité légère et d’incitations généreuses fait du Texas un aimant pour les entreprises en quête de croissance. Par ailleurs, selon une étude de FDi Intelligence, parmi les motifs invoqués par les entreprises pour justifier leur délocalisation, près de la moitié (47,7 %) des délocalisations aux États-Unis depuis 2019 ont cité la “disponibilité de main-d’œuvre qualifiée” comme raison de la décision. Viennent ensuite de près les réglementations (31 %) et la proximité des marchés ou des clients (31 %).
Mais une question se pose alors. Pourquoi, au lieu de s’installer directement au Texas, les géants de la tech ont-ils élu domicile en Californie ? Des plaines du Midwest aux gratte-ciels de New York, les entreprises ont toujours eu l’embarras du choix pour poser leurs valises. Pour le choix de la Californie, il faut remonter dans le temps.
La Silicon Valley ne s’est pas construite en un jour. Tout commence dans les années 1950 et 1960, avec des pionniers comme Fairchild Semiconductor et Intel, qui jettent les bases de l’ère numérique. La proximité avec Stanford et Berkeley fournit un réservoir inépuisable de cerveaux et transforme la région en un laboratoire d’innovation permanent.
Très vite, un cercle vertueux s’installe. Les ingénieurs passent facilement d’une entreprise à l’autre, les startups naissent et meurent à une vitesse folle, et les investisseurs sont à l’affût du prochain Apple ou Google. Le Texas, lui, n’a jamais eu cette concentration de talents ni cette dynamique effervescente.
Silicon Valley, c’est aussi le coffre-fort du capital-risque. La Californie capte 40 % des investissements en venture capital aux États-Unis. En 2023, le Texas a levé 6,7 milliards de dollars en financement pour startups. Impressionnant ? Pas vraiment quand on sait que la Californie, elle, a attiré 106 milliards sur la même période. Dans cet univers où lever des fonds est une question de survie, avoir les bons investisseurs à portée de main fait toute la différence. Sans cette fluidité financière, beaucoup de licornes n’auraient jamais quitté le stade de l’idée.
La Californie, c’est aussi un hub international. Les meilleurs développeurs viennent d’Inde, de Chine, d’Europe, attirés par des universités d’élite et un marché du travail ultra-compétitif. Le Texas, bien qu’accueillant, n’a jamais bénéficié du même rayonnement mondial. Mais désormais, si la Silicon Valley garde son aura d’innovation, le Texas sait jouer ses cartes : impôts faibles, coût de la vie plus abordable, régulations allégées. De plus en plus d’entreprises déjà établies choisissent donc d’y transférer leurs bureaux pour échapper aux contraintes californiennes.
Chiffres à l’appui, en 2023, la Californie a dû faire face à un déficit budgétaire de près de 32 milliards de dollars pour l'exercice 2023-2024, obligeant l'État à réduire ses dépenses. Parallèlement, le marché de l'immobilier commercial à San Francisco a connu une chute significative. Les prix des immeubles de bureaux ont diminué de plus de 30 % sur une période de trois ans et selon les rapports de CBRE, le taux d'inoccupation des bureaux dans le centre-ville de San Francisco est passé de 3,9 % en 2020 à plus de 29 % au premier trimestre 2023.
Quid du Lone Star State ? En 2023, le Texas a affiché un excédent budgétaire record de 32,7 milliards de dollars, surpassant les budgets annuels de nombreux autres États américains.

L’État étoilé attire les entreprises à coups d’incitations fiscales et de promesses de liberté économique, mais derrière cette façade de dynamisme, des fissures commencent à apparaître. Austin suffoque sous la pression immobilière : en cinq ans, les prix du logement y ont bondi de près de 40 %, rendant la ville de plus en plus inaccessible aux travailleurs locaux.
Mais le véritable talon d’Achille du Texas, c’est son énergie. Un réseau électrique en roue libre, isolé du reste du pays, qui s’effondre à chaque tempête hivernale – on l’a encore vu en 2021 et 2023, avec des coupures massives plongeant des millions de foyers dans le noir et le froid. Et l’eau ? Même combat : dans l’ouest de l’État, l’essor industriel et l’explosion démographique mettent sous tension les réserves, une situation qui pourrait vite devenir critique.
Mais construire un écosystème technologique ne se fait pas en un claquement de doigts. La Silicon Valley reste, toujours aujourd’hui, le cœur battant de la tech mondiale. Mais pour combien de temps ?
Un article complémentaire sur le sujet, concocté par Tommy Douziech : Texas, le nouvel eldorado américain