Washington (awp/afp) - Qualcomm s'est effondré en Bourse mercredi après qu'une juge américaine l'a accusé d'avoir "étranglé la concurrence" grâce à sa position de force dans les microprocesseurs pour téléphones mobiles, sa spécialité, et lui a ordonné de modifier ses pratiques commerciales.

Ce jugement, rendu tard dans la nuit de mardi à mercredi en Californie, donne raison à la Commission fédérale des télécommunications (FTC), qui avait porté plainte en 2017 contre le fabricant américain de composants pour smartphones, accusé d'user de sa position pour imposer des conditions financières exorbitantes.

Qualcomm, un des leaders du secteur et en pointe dans les puces 5G nouvelle génération, a une double casquette : il est à la fois détenteur de nombreuses licences sur des brevets technologiques mais aussi fabricant de certains types de puces indispensables aux smartphones.

Résultat, il est difficilement contournable par les différents acteurs du secteur.

"Les pratiques d'attribution de licences de Qualcomm ont étranglé la concurrence" pendant des années dans des segments clé du marché des microprocesseurs pour mobiles ("modem chips", les puces qui relient les mobiles aux réseaux télécoms), écrit la juge, qui affirme que le groupe a "nui à ses rivaux, aux fabricants et aux consommateurs".

Il lui est notamment reproché d'indexer les prix de ses licences sur la totalité de la valeur du smartphone et non pas sur la seule technologie dont il détient le brevet.

La juge a aussi estimé que ces pratiques risquaient de se poursuivre en raison de la position occupée par Qualcomm dans le développement de puces pour la 5G, l'accès mobile ultra-rapide en cours de déploiement. Le groupe, qui a déjà subi des revers judiciaires concernant ses pratiques commerciales dans plusieurs pays du monde, va faire appel de la décision.

"Nous sommes en total désaccord avec les conclusions de la juge, son interprétation des faits et son application de la loi", a déclaré Don Rosenberg, directeur juridique de l'entreprise californienne, dans un communiqué.

Qualcomm a chuté de 10,86% à la Bourse à New York mercredi.

C'est une "victoire importante pour la concurrence dans un secteur clé de l'économie", a réagi la FTC.

Modèle économique

Ce jugement, dans lequel la juge détaille, sur 233 pages, les pratiques commerciales de Qualcomm, est un coup dur pour le fabricant et son modèle économique, largement basé sur les ventes de licences d'exploitation de ses brevets.

Il exige que Qualcomm renégocie ses contrats de "bonne foi" et "sans menace de couper l'approvisionnement ou autres clauses discriminatoires" sur l'approvisionnement de puces de connexion, l'accès au support technique ou à des logiciels.

L'entreprise doit aussi mettre à disposition de fabricants de puces modem des accords de licence "justes" et elle se voit interdire de passer des accords exclusifs.

Pour s'assurer qu'elle respecte bien ces injonctions, Qualcomm devra faire un rapport annuel à la FTC pendant 7 ans.

"Ce jugement est une victoire pour la technologie mobile et la compétitivité américaine dans la 5G", a réagi la Computer & Communications Industry Association, qui représente de grands noms du secteur tech et télécoms.

Si l'association de consommateurs Public Knowledge a elle aussi salué cette décision, l'analyste Patrick Moorhead (Moor Insights & Strategy) a au contraire évoqué une "parodie" de justice.

"Pour être reconnu coupable, il faut prouver qu'il y a eu un dommage et il n'y avait aucune preuve de dommage pour les consommateurs, fabricants de puces ou d'appareils", a-t-il estimé.

Pour Daniel Newman (Futurum Research), ce jugement est une mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis, qui veulent être numéro un dans la 5G, un sujet très sensible qui cristallise en partie le conflit commercial actuel entre Pékin et Washington. Le secteur des composants pour appareils mobiles est d'ailleurs secoué par les sanctions américaines contre le géant télécoms chinois Huawei.

Dans ce contexte, "affaiblir une entreprise (de ce secteur) en ce moment est au mieux ironique, et au pire, un risque grave pour l'écosystème d'innovation américain tout entier", a-t-il estimé.

Dans l'immédiat, ce jugement pourrait surtout encourager des entreprises s'estimant lésées par Qualcomm à le poursuivre en justice.

Le groupe avait pourtant enterré mi-avril la hache de guerre avec un adversaire de taille, Apple, après deux ans de bataille juridique acharnée dans le monde entier entre la marque à la pomme et son ex-fournisseur. Ils avaient même signé un nouveau contrat pour plusieurs années sur les licences et la fourniture de puces.

afp/jh