Le livret A a été créé en 1818 sous le nom "Livret d'épargne". Originalement distribué par la Caisse d'Epargne et rémunéré 5%, il est désormais accessible dans toutes les banques au taux de 0.75% et passera à… 0.5% en février 2020. Initialement utilisé par l'Etat pour rembourser les dettes de guerre contractées par Napoléon, il sert désormais pour partie à financer le développement des logements sociaux. Malgré son taux avoisinant les 0% - et même négatif lorsqu'il est corrigé de l'inflation – on le retrouve chez 80% de la population française. La liquidité et la garantie du capital correspondent en effet aux exigences sécuritaires développées par la vision franco-française de l'épargne.

Comment fonctionne-t-il ?

Les versements sur le livret A sont collectés par les banques. Jusqu'à fin 2017, la totalité des encours étaient ensuite transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). En effet, avec des taux d'intérêt court terme négatifs et des taux longs avoisinant 0, il apparaissait assez improbable de proposer un produit à taux fixe, à capital garanti et complètement liquide. Les banques se tournaient donc vers un organisme étatique pour gérer le livret. La donne a changé en 2018 : elles doivent désormais progressivement réintégrer une partie de leurs encours (40%) à leur bilan. Bien qu'il s'étale sur 10 ans, ce processus ne risque pas d'améliorer la santé financière des établissements bancaires français, qui ne se sont jamais vraiment remis de la crise de 2008 et pâtissent encore du processus de régulation qui s'en est suivi. Un phénomène qui ne se cantonne d’ailleurs pas à l'hexagone, comme l'illustre le graphique ci-dessous du Stoxx 600 Bank, qui mesure les performances boursières des banques européennes.

40% des fonds collectés sur les livrets A viennent donc s'inscrire dans le bilan de la banque et servent à financer les particuliers et les PME. Les 60% restants sont utilisés pour un tiers par la CDC afin de financer le développement des logements sociaux, les 2/3 restants servant à effectuer des opérations de marché (autrement dit, du trading).

Le taux

Revenons à présent au taux de rémunération du livret A, qui va donc baisser à partir du mois de février. Comme nous l'avons vu, il était de 5% à la création du livret A en 1818, et a même atteint 8.5% en 1981 (lorsque l'inflation dépassait 13%). La méthodologie de calcul a beaucoup varié au fil du temps et sur la période récente (2004-2016), deux modes de calcul coexistaient avec conservation du mode le plus avantageux pour l'épargnant. Le choix variait essentiellement en fonction de l'inflation. Le calcul était le suivant :

  • Méthode A = (Moyenne de l'inflation* des 12 derniers mois + (moyenne de l'Eonia + moyenne l'Euribor)/2)/2
  • Méthode B = Moyenne de l'inflation (mentionnée au A) augmentée de 0.25pts

Le résultat était ensuite arrondi à 0.25 près. Par ailleurs, l'écart entre deux fixations successives (semestriellement) ne peut être supérieur à 1.5%.

*indice IPC de l'INSEE

A partir de 2014, suite à une forte baisse de l'inflation, le taux du livret A a été fixé artificiellement par le gouverneur de la Banque de France. A partir de 2016, lorsque l'inflation est remontée, la majoration de la méthode B a été annulée si l'écart entre l'inflation et l'Eonia devenait supérieur à 0.25%. Les indices utilisés ont par ailleurs été lissés sur 6 mois. C'est à cette période que le taux du livret A a systématiquement été revu à 0.75% par François Villeroy de Galhau, alors qu'il aurait théoriquement dû remonter. Il a par la suite, sur décision ministérielle, été gelé en 2017 à 0.75% jusqu'en 2020.

Pour remédier à cette défaillance, le gouvernement Edouard Philipe a décidé d'instaurer une nouvelle méthode de calcul :

  • Méthode 2020 = (Moyenne de l'Eonia sur 6 mois + moyenne de l'inflation hors tabac sur 6 mois)/2

Si le résultat est très similaire à la méthode A (il est négatif), la méthode 2020 contient une nouveauté : un seuil, 0,5%, en deçà duquel la rémunération ne peut descendre. Le taux sera donc dégelé et réévalué semestriellement.

Avec une baisse de l'IPC et un Eonia moyen à -0.456% sur le mois de décembre, autant dire qu'il y a peu de chance que le livret A devienne le placement de l'année. Il devrait par conséquent, à moins d'une décision de la banque de France, rester à 0.5%.

Cette décision, qui réduit l'intérêt de ce mode d'épargne pour les Français, s'inscrit dans la grande tendance qu'essaye d'instaurer le gouvernement, à savoir une migration de l'épargne vers l'économie réelle et la consommation. Comme l'avait fait remarquer Mario Draghi avant de quitter la BCE : les initiatives des banques centrales n'ont qu'un effet limité sur l'économie si elles ne sont pas amplifiées par des politiques économiques locales. Nous avons d'ailleurs vu à cet effet la création du PFU au début du quinquennat, qui permet de faciliter l'investissement dans les valeurs mobilières par une réduction de la fiscalité. Le gouvernement a par ailleurs permis cet été la création du PER (Plan d'Epargne Retraite), nouveau dispositif permettant d'inciter les épargnants à capitaliser leur épargne-retraite en facilitant les conditions de sortie du dispositif par rapport au PERP (bien que l'avantage fiscal soit malheureusement moins confortable que celui de son aîné).

Ainsi, aux grands maux les grands remèdes ; comme le montre le graphique ci-dessous (produit par la Banque de France), la France est en effet l'un des pays où le taux d'épargne est le plus élevé derrière l’Allemagne :

Source : Banque de France

Ce phénomène de "sur-épargne" pose un vrai problème dans le processus de réduction des inégalités. Il est par ailleurs amplifié par ce principe, très européen, de comptes "garantis". En effet, les Américains qui épargnent, investissent essentiellement dans des fonds de pension (et parfois directement en Bourse), eux-mêmes investis au capital de différentes entreprises. Même si le débat sur l'intérêt des entreprises de s'introduire en Bourse est très vaste et complexe, la notion de risque conduit incontestablement à faire circuler les capitaux et par conséquent, réduire les inégalités et stimuler la croissance.

Même si des taux garantis (Livrets A, LDDS, fonds euros…) s'avèrent alléchants, ils ne devraient pas autant attirer l'attention des Français. En effet, si vous aviez placé 1000€ sur un livret A le 1er janvier 2010, vous auriez obtenu 131€ d'intérêt le 31 décembre 2019 (sur la base des évolutions du livret A), soit un rendement moyen de 1.24% annualisé. Si ces mêmes 1000€ avaient été placés sur le CAC 40 Growth Return pendant la même durée, les gains auraient atteint 1133€ soit 7.87% par an... soit 1000€ de plus. Notons que sur cette période, la rémunération du livret A a connu un plus haut à 2.25% entre août 2011 et février 2013.

La recapitalisation de Suravenir ou encore l'insolvabilité d'Elite Insurance montrent que des produits à taux garantis ne sont plus soutenables pour l'économie. Les épargnants devraient par conséquent favoriser des produits plus dynamiques comme le PEA. Les ménages qui n'ont pas le capital nécessaire pour se diriger vers le risque peuvent, sous conditions de ressources, souscrire à des LEP (Livret d'Epargne Populaire).