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(Easybourse.com) Jeudi 10 Décembre, la banque privée Pictet & Cie organisait une conférence de presse autour d'Yves Bonzon, directeur des investissements et de Christophe Donay, chef stratégiste, pour présenter ses perspectives économiques et sa stratégie d'investissement pour l'année 2010. L'occasion de revenir une des thématiques d'investissement phares pour l'institution, l'or.
Ci-dessous le verbatim de l'intervention de Yves Bonzon.

De quelle manière les actifs sont ils valorisés actuellement : cher, bon marché, proche d'une valeur raisonnable (faire value)?
Aujourd'hui toutes les classes d'actifs sont raisonnablement proches de ce que l'on peut appeler leur valeur d'équilibre.
Il n'y a pas d'élément actuellement qui nous amène à dire qu'une classe d'actifs donnée se caractérise par une bulle ou est très déprimée.

A deux exceptions près…
Le dollar est clairement sous évalué. Il suffit de considérer une simple parité de pouvoir d'achat pour s'en convaincre.
Qui plus est, les valeurs japonaises semblent bon marché. L'économie nippone est en déflation avérée ce qui a pour conséquence un retour sur fonds propres pour les entreprises domestiques très déprimé de l'ordre de 5% en tenant compte de la hausse des estimations de bénéfices eu égard à la reprise en cours

Les obligations d'Etat ne vous semblent pas massivement surévaluées…
Il n'y a pas d'inflation pour le moment. 3,5% sur une obligation souveraine lorsqu'il n'y a pas d'inflation n'est pas négligeable, puisque c'est consistant avec le rendement historique. 
D'autres part d'un point de vue historique rarement la pente de la courbe n'a été si élevée que cela.

Quel regard portez-vous sur le marché américain illustré par l'indice S&P ?
La définition d'une bulle au sein de Pictet équivaut à quatre fois et plus la valeur comptable.
La valeur comptable américaine est calibrée à 1,9 fois, ce qui correspond à la valeur moyenne historique. Nous nous en sommes écartés souvent ces dernières années. Elle a récemment baissé du fait des amortissements du secteur bancaire. Nous sommes actuellement un peu au dessus de deux fois, 2,2-2,3.
Je nuancerai cette légère surpondération par la forte dépréciation du dollar.

Pour que l'on reconstruise une bulle et que les deux fois actuels remontent à cinq fois, il faudrait que la base des investisseurs soit totalement amnésique.

Quel diagnostic faites-vous de l'évolution du marché boursier ?
2009 marque la fin de la pire décennie sur le marché des actions depuis fort longtemps. 
A fin février, composée sur dix ans, la performance des actions américaines était de -3,40% annualisée. Il faut remonter à 1929-1939 pour trouver un rendement aussi faible.

Pour que nous ayions une performance aussi médiocre sur un horizon de 10 ans  (comme le Japon qui a fait deux décennies de suite de rendements déplorables), il faudrait que la valorisation se compresse énormément.
Cela arrive dans deux cas spécifiques, une déflation marquée comme aux Etats-Unis dans les années 30, ou une inflation chronique comme dans les années 70-début des années 80.

Quelles perspectives de rendements escomptez-vous ? 
Prenons en compte un PE retravaillé en retirant les sociétés non profitables ce qui permet de corriger l'effet du cycle pour les sociétés temporairement non rentables et d'éliminer les sociétés structurellement à problème et qui vont tôt ou tard sortir de l'indice S&P 500.
La prévision est alors établie sur un horizon de 20 ans.
Nous avons inversé le rapport cours sur bénéfice pour en faire un rendement des bénéfices, autrement dit un earning yield à la place d'un PE.
Fin mars, nous avions un rendement estimé en nominal bilans inclus de 7,5%. Dans un environnement où les taux d'intérêt sont sur le 10 ans à 3%. La prime de risque qui était de  4,5 est remontée à 5,30 avec le rallye. Les rendements sont alors à 3-3,5.

Qu'est ce qui pourrait faire que ces rendements ne se matérialisent pas ?
La dette du secteur privé en point de pourcentage du PIB des Etats Unis.
Celui-ci a timidement commencé à se corriger. Le taux d'épargne est remonté au dessus de 4% dans le pays. Mais l'Etat a pris le relai pour relancer l'économie, entrainant une explosion de sa dette à son tour.

Si les politiques monétaires et budgétaires étaient normalisées, que l'on ramenait les taux d'intérêt court terme à 2-3%, les déficits budgétaires à 3-4%, des niveaux soutenables à long terme, le PIB nominal tomberait brutalement en dessous du cout de financement du secteur privé. Cela serait une incitation très forte pour les entreprises de désendetter leur bilan.

Avoir un cout d'endettement à 5 dans un système qui ne croit pas ou peu, conduit de facto à un phénomène négatif : soit les agents économiques ne prennent plus l'initiative de contracter une nouvelle dette,  soit ils ont du mal à rembourser la dette existante.
Le facteur démographique ne fait qu'aggraver la situation. Avec le vieillissement de la population, la propension à s'endetter ne peut que diminuer.

L'objectif prioritaire est par conséquent de maintenir la croissance nominale du PIB au dessus du cout de financement

La ponction fiscale croissante sur les cash flows du secteur privé est un risque très important…
Si les marchés anticipent une attitude confiscatoire de la part du gouvernement, la valorisation des actifs déprimera et le cout du capital retombera

Les Etats Unis vont être rapidement confrontés à un problème de service de la dette...
Jamais depuis 1945, l'économie américaine ne s'était contractée en terme nominal. En 2010, nous devrions noter un point complet de réduction de la croissance du PIB dû au tassement de la population active.
C est comme si vous aviez un million de dette hypothécaire, vous avez 100 000 euros de revenus cette année, 95 000 euros l'année prochaine et 90 000 euros l'année suivante.
Une économie qui se contracte en nominal dans un système surendetté s'inscrit dans une spirale absolument dramatique.

Le plus grand risque réside dans un retrait prématuré des politiques stimulantes…
Les politiques continueront d'être accommodantes mais le processus ne sera pas sans heurts.
Pendant les fortes remontées boursières, en présence de signes d'amélioration, les autorités politiques et monétaires seront tentées de sortir de cette attitude de stimulation et voudront normaliser leur politique.
Or tant que le processus de désendettement ne sera pas suffisamment avancé, nous retomberons dans des pressions déflationnistes plus ou moins aigues.

Le processus d'aller/retour séquentiel va caractériser les marchés au moins pour la première moitié de la décennie et engendrer de la volatilité. La variable la plus sensible sera la politique monétaire puisque c'est celle sur laquelle il est possible d'agir le plus rapidement.

Il faudra surveiller les politiques de changes dans les pays émergents et en particulier en Chine…
Depuis la crise asiatique de 98, nous avons clairement privilégié les politiques de change mercantilistes, de maintien des devises faiblement valorisées pour favoriser le modèle d'exportation, Chine en tête.
Le modèle atteint ses limites, la Chine est devenue trop mature pour continuer à croitre uniquement par les exportations. La consommation interne doit prendre le relai. La transition n'est pas aisée.
L'industrie d'exportation chinoise est un point important dans le processus de décision des autorités. Des frictions existent. En témoigne ce qui s'est passé avec lors de la visite des officiels de la zone euro à Pékin il y a environ 15 jours. Le résultat des négociations a abouti à un pilotage de l'agenda par les autorités chinoises. 
La politique de changes ce sera certainement un sujet de tension croissante en 2010 et potentiellement de montée des risques protectionnistes. 

Les marchés asiatiques sont potentiellement candidats à une bulle financière
A Cancun, un appartement de 100 mètres carrés se traite entre 3 et 4 millions de dollars. Nous sommes manifestement face à une bulle qui posera problème si elle s'étend dans la région

Propos retranscrits par Imen Hazgui

- 14 Décembre 2009 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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