La hausse des actions françaises surprend, alors que le pays fait peur à tout le monde avec son exécutif en déliquescence et ses trois blocs politiques peu enclins à coopérer. Cette bonne tenue est le fruit d'une conjonctions de facteurs, dont voici les principaux :

  • Des garde-fous réglementaires : malgré les dissensions politiques, la loi organique qui cadre le budget permet de faire fonctionner les institutions. Cet élément a rassuré les marchés, une fois qu'ils ont intégré l'information.
  • Du politique : certains économistes soulignent que Marine Le Pen a poussé ses pions avec finesse, en jouant l'apaisement après la chute du gouvernement Barnier. Les positions moins tranchées que par le passé de l'extrême droite française contre la monnaie unique ont aussi été prises en compte.
  • Un marché boursier décroché : en 2024, la Bourse de Paris est largement à la traîne des autres en matière de performance, secouée par la surexposition de ses poids lourds du luxe à la Chine, qui souffre. Les investisseurs avaient déjà déclassé les actions françaises, même si c'est pour une raison différente.
  • Une prime de risque crédit déjà gonflée depuis la dissolution : le spread entre la dette française et la dette allemande s'était déjà accru avec la dissolution (il est passé d'une moyenne de 40 à 60 points avant à une moyenne de 60 à 80 points après). Les spécialistes estiment qu'il reflète la dégradation de la situation.
  • Un joker qui s'appelle la BCE : la situation difficile de la France (et pas bien meilleure de l'Allemagne) a renforcé la perspective de voir la BCE réduire ses taux plus rapidement que prévu. Les économistes tablent en majorité sur une baisse de taux de 25 points de base lors de la réunion prévue la semaine prochaine, mais l'option 50 points de base n'a pas été totalement écartée par certains. En toute état de cause, la BCE est perçue comme un filet de sécurité majeur.
  • Un environnement global porteur : on rentre dans un domaine plus ésotérique, mais soyez sûr(e)s que si les marchés actions étaient dans une phase de baisse, le CAC40 aurait plus de mal à tenir la distance. L'euphorie qui s'est emparée de Wall Street contribue à la performance globale.

"L’Etat français devrait continuer à fonctionner normalement"

Pour compléter ces arguments, voici quelques phrases intéressantes glanées sur la situation politique en France et ses implications sur l'économie et la finance :

  • Sur une éventuelle sanction des agences de notation : "Nous pensons que les agences de notation et la CE vont attendre qu'il soit clair qu'aucun gouvernement français n'adoptera un budget austère pour 2025 avant de devenir plus négatifs sur les perspectives budgétaires de la France" (Barclays).
  • Sur la peur suscitée par la situation française : "Nous avons constaté une certaine complaisance à l'approche des négociations budgétaires françaises, mais nous pensons que le marché est aujourd'hui correctement évalué. Les investisseurs semblent avoir une bien meilleure compréhension de la complexité du processus budgétaire et des mesures de sauvegarde visant à éviter un shutdown à l'américaine" (UBS).
  • Sur le calme qui règne sur le marché de la dette depuis la censure : "Ce calme sur les marchés peut aussi s’expliquer par le fait que l’Etat français devrait continuer à fonctionner normalement. En effet, malgré l’absence de budget pour 2025, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) permet au Parlement de voter une loi spéciale permettant à l’Etat de continuer à collecter l’impôt et les taxes, ce qui lui permettra de faire face à ses obligations. Une telle loi, devrait être a priori votée par tous les partis politiques afin de prolonger l’action de l’Etat" (LBPAM).
  • Sur les spreads européens : "En ce qui concerne les valorisations obligataires, les spreads français étant désormais équivalents à ceux de la Grèce et nettement supérieurs à ceux de l'Espagne, nous pensons qu'il convient de remettre en question l'idée reçue selon laquelle la France est meilleure que l'Italie au niveau crédit. Dans le cas de cette dernière, les niveaux d'endettement sont élevés depuis très longtemps, mais une attitude responsable à l'égard des finances du pays a permis d'atteindre une balance primaire relativement équilibrée au cours des dernières années. La France part de beaucoup plus loin, mais elle rattrape l'Italie assez rapidement" (BlueBay).
  • Sur le spread franco-allemand : "Il nous semble que la prime existante vis-à-vis de l’Allemagne devrait rester forte et nous pousse à la prudence sur la dette française. Néanmoins, même si on sait que le marché peut exagérer, il nous semble qu’une montée encore plus marquée de cette prime n’est pas forcément le scénario le plus probable, à moins que le dérapage budgétaire s’accentue bien plus et/ou qu’un conflit puisse émerger avec les partenaires européens de la France et avec la Commission sur la trajectoire budgétaire" (LBPAM).
  • Sur le risque de propagation : "Nous ne prévoyons pas que le désordre français déclenche une crise de confiance dans l’euro similaire à celle de 2010-2012. La France compte et l’Europe a tiré les leçons du Brexit. Même Le Pen ne veut plus quitter l’euro. Si nécessaire, la BCE pourrait intervenir pour prévenir tout risque de contagion à d’autres pays" (Banque Richelieu).
  • Sur les bourses continentales : "La place boursière parisienne pourrait ne pas être tellement touchée par l’instabilité politique et les difficultés économiques rencontrées par la France. C'est d'ailleurs aussi le cas pour le DAX40 en Allemagne, alors que la situation politique et économique n'est pas beaucoup plus florissante outre-Rhin. En réalité, une majorité d’investisseurs pourraient parier sur le fait que cette instabilité des deux côtés de la frontière va contraindre la Banque Centrale Européenne à poursuivre sa baisse des taux afin de préserver l’euro. Le levier serait donc davantage monétaire que politique" (Norman K.).
  • Sur le "coup d'après" 1/2 : "Une nouvelle dissolution à l’été 2025 est probable, perturbant une nouvelle fois le processus budgétaire. Cette incertitude a déjà posé sa marque sur le moral des entreprises et des ménages, conduisant à suspendre ou différer des décisions d’investissement ou d’embauche. Cela pèse sur l’activité. L’économie risque la récession" (Oddo BHF).
  • Sur le "coup d'après" 2/2 : "Mme Le Pen peut attendre son heure, en attendant de pousser à de nouvelles élections parlementaires en juillet de l'année prochaine. A court terme, cela signifie que la France reste un pays dont le crédit se détériore structurellement" (RBC BlueBay).