La courbe des taux a fait couler beaucoup d’encre récemment, surtout la question de savoir si son inversion indique ou non un ralentissement économique imminent. « La courbe, qui marque l’écart de rendement entre les obligations d'État américaines à court et long terme, a souvent été présentée comme étant un véritable baromètre de la santé financière mondiale ou encore comme la "rock star" des indicateurs économiques, voire une prophétie autoréalisatrice et un catalyseur de la récession en elle-même », rappelle Shamik Dhar, chef economiste chez BNY Mellon Investment Management.

C'est compréhensible. Chaque récession américaine depuis la Seconde Guerre mondiale a été précédée d'une courbe des taux inversée (en particulier, le rendement des bons du Trésor à un an a dépassé celui des bons du Trésor à dix ans).

Aujourd'hui, la courbe est au bord du gouffre. Le 14 août dernier, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans est brièvement descendu en dessous de celui des obligations à deux ans, une première depuis 2007. S'en est suivie une chute des marchés boursiers, les investisseurs autour du monde ayant vendu leurs actions craignant une récession imminente.

Ne s'agit-il pas d'une réaction excessive ? " Très probablement ", selon Shamik Dhar.

Premièrement, l'expert estime que le rôle d'indicateur économique de la courbe est exagéré. Lorsque la politique monétaire était " normale " (en général, lorsque les récessions étaient générées par les banques centrales), son statut était en effet mérité, mais dans le monde post-crise financière mondiale, les choses sont bien différentes.

Dans les années 1970, 1980 et 1990, les banques centrales notaient des pressions inflationnistes qu'elles cherchaient à soustraire au système en augmentant les taux d'intérêt. Cela découragerait les dépenses et les emprunts, créant ainsi des conditions propices à la récession. Les marchés obligataires ont vite compris ce mouvement et, dès que l'inflation commençait à prendre de l'ampleur, ils augmentaient leurs attentes en matière de taux d'intérêt à court terme tout en réduisant leurs attentes en matière de taux à long terme.

Résultat ? Une courbe des taux inversée avant tout changement de politique monétaire de la part des banques centrales et avant que les effets atténuants de la hausse des taux d'intérêt ne se fassent sentir dans l'économie réelle.

" Nous n'avons toutefois pas vraiment connu de récession induite par l'inflation depuis 1990, et même celle-ci est discutable ", note le chef économiste.

" De nos jours, les récessions sont plus susceptibles d'être engendrées par des variables financières qui tournent mal et qui créent des krachs ", ajoute l'expert.

C'est le cas du krach asiatique de la fin des années 1990, de la récession " dotcom ", et (en particulier) de la crise financière mondiale et de la crise de la zone euro qui l'a suivie. L'époque où les banques centrales provoquaient des récessions par des hausses de taux d'intérêt est révolue - en particulier dans le climat actuel, où l'on craint que l'inflation ne soit pas suffisamment élevée et n'atteigne pas sa cible. Et si l'inflation a perdu son rôle central de catalyseur de la récession, la courbe des taux inversée a perdu le sien comme signe avant-coureur (à moins que la courbe des taux ne soit devenue un bon indicateur des krachs financiers).

Cela ne signifie pas que le risque de récession n'augmente pas. " Mais cela suggère que nous devrions essayer de comprendre pourquoi la courbe des taux s'est inversée plutôt que de nous fier aveuglément à cet indicateur comme une boîte noire pour la direction de la croissance économique futur ", conclut Shamik Dhar.