Dans la mesure où la CDC CI, aujourd’hui dénommée Qualium, n’a pas respecté ses règles de gestion habituelles on peut penser qu’elle a considéré que racheter Quick pour près de 800 millions d’euros était une opportunité exceptionnelle. Le seul intérêt de cette acquisition serait donc tout simplement économique ?

Quick, un gros pari
Tout d’abord, nous sommes restés dubitatifs face à l’ampleur de l’investissement représenté par le rachat de Quick. Qualium Investissement est une Société de Gestion agréée par l’AMF qui gère 1,5 milliard d’euros de fonds, apportés par la Caisse des Dépôts et par des investisseurs institutionnels. Alors qu’elle gère 1,5 milliards d’euros, la CDC CI a consacré près de 800 millions d’euros au rachat de Quick, soit près de la moitié de son budget.

Même si cette acquisition a en partie été financée par endettement, c’est un très gros pari pour la CDC CI qui investit généralement entre 20 et 75 millions d’euros. Cette opération représente une part significative de la capacité d’investissement de la CDC CI et limite ainsi la saisie d’éventuelles futures opportunités.

Pour comprendre ce dossier, il faut savoir que le secteur d’activité dans lequel évolue Quick est un secteur d’activité mature et très concurrentiel, dont les taux de croissance du chiffre d’affaires et de la rentabilité nette sont relativement faibles. Dans ce secteur, les perspectives d’augmentation du chiffre d’affaires d’une année sur l’autre sont rarement supérieures à 5% et une augmentation de l’activité n’engendre pas nécessairement une amélioration du taux de rentabilité. Par contre, la réciproque n’est pas vraie : une baisse de l’activité a immédiatement des répercussions importantes sur la rentabilité de part la taille des charges fixes. La visibilité, c'est-à-dire le coté prédictif et récurrent du chiffre d’affaires, est le seul gros avantage que présente ce type d’activité pour un investisseur. On peut donc se demander pourquoi la CDC CI a choisi d’investir massivement dans ce secteur.

La CDC CI a payé Quick très cher
La CDC CI n’a apporté aucun changement dans la stratégie menée par Quick. Loin d’agir en industriel entreprenant, la CDC CI s’est finalement comportée comme un « simple » investisseur. A partir de là, son objectif théorique est soit, de voir son investissement remboursé en un nombre d’années le plus court possible grâce aux résultats et dividendes générés par la société, soit de porter cette participation avec pour ambition de trouver à plus ou moins longue échéance un autre acquéreur à un prix supérieur et réaliser ainsi une plus-value. Plus encore que pour un industriel, pour un investisseur, le prix payé est essentiel.

Raisonner en multiples de résultat nous a semblé être le mode de valorisation le plus adapté. Nous nous sommes donc référés au PER (Price Earning Ratio) de l’action Quick en 2006. L’idée est de se demander combien d’années sont nécessaires pour rembourser un investissement. Ce ratio, très utilisé, permet de comparer la valeur d’une société par rapport à ses pairs et à son secteur d’activité à un moment donné. Plus le PER est élevé, plus la société est jugée « chère » en termes relatifs.

En investissant environ 775 millions d’euros pour racheter Quick en 2006, alors que l’entreprise affichait la même année un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros (+5% par rapport à l’exercice précédent), un résultat net de 23 millions d’euros (-13% par rapport à l’exercice précédent) et un endettement de 38.4 millions d’euros, l’Etat français a payé plus de 30 fois les résultats de la société, et 40 fois le résultat opérationnel de 2006.

En termes de multiples de résultat, la valorisation de Quick représente environ une fois et demi plus que ce que valait en bourse le leader mondial Mac Donald à la même époque avec des perspectives de développement et une marge nette bien meilleures, sachant par ailleurs qu’un leader mondial est toujours mieux valorisé. C’est environ le double de ce que valait le Groupe Flo (Hyppopotamus, Bistrot Romain, Maître Kanter…) en bourse, comparable sectoriel français le plus proche, à la même époque et dont l’évolution de l’activité était semblable. Il s’agit à titre indicatif du même multiple de résultat (PER) que celui d’Apple en 2006, qui était déjà à l’époque un exemple de croissance, de rentabilité et de santé financière…


Cours de l’action Mac Donald et évolution de son PER, source Bloomberg


Cours de l’action Apple et évolution de son PER, source Bloomberg

Vous l’aurez compris, avec un PER aussi élevé, Quick était censé être une affaire en or, vouée à un développement extraordinaire ! En fait, acheter l’action aussi chère revenait à payer une surprime fondée sur des promesses de profits futurs. Oui mais voilà. Le chiffre d’affaires de Quick depuis 2006 affiche seulement une croissance annuelle moyenne de 4,7% (le volume d’affaires a augmenté de 14,7% entre 2006 et 2009), loin de la croissance mirobolante promise par le PER.

Pour sa défense, la CDC CI explique que cette valorisation tient compte des actifs immobiliers possédés par Quick au moment de l’acquisition, actifs qu’elle a depuis cédé pour réduire la taille de son investissement estimant avoir ainsi fait une bonne affaire. En effet, le 29 mai 2007, Quick a cédé 99 sites immobiliers abritant des restaurants Quick, détenus en pleine propriété ou en crédit bail à la société Foncière des Murs, pour un montant net d’impôts et de frais de 247,2 millions €. Certes, mais il ne faut pas omettre que les restaurants Quick doivent désormais payer un loyer pour les locaux qu’ils occupent. Ce nouveau coût important impacte forcément la rentabilité nette à la fin de l’année, déjà faible, et éloigne encore davantage le retour sur investissement.

Un intérêt économique, oui mais pour qui ?
A la lumière de ces données financières, il semble bien plus difficile encore de comprendre pourquoi la CDC CI a racheté Quick. Pourtant l’OPA, réalisée durant l’automne 2006, a eu des conséquences très bénéfiques sur les portefeuilles des actionnaires et plus particulièrement sur celui d’Albert Frère.

En novembre 2006, la Financière Gallop a lancé une offre publique d’achat (OPA) sur la totalité du capital de Quick au prix de 37,80 euros l’action. Cette OPA offrait aux actionnaires une prime de 23% par rapport au dernier cours de Bourse alors que celui-ci flambait depuis plusieurs mois sur fond de rumeur d’OPA. Cette opération financière a permis à Albert Frère d’encaisser 211 millions d’euros correspondant à la participation qu’il détenait dans Quick via la CNP. Il a réalisé ainsi une plus-value de 150 millions d’euros.


Source : rapport annuel Quick 2009

Aujourd’hui cette participation ne trouve pas preneur
Lorsqu’un investisseur prend le contrôle d’une société, il doit obligatoirement se poser la question de savoir si son investissement est liquide, c'est-à-dire s’il va potentiellement pouvoir trouver un jour un acquéreur pour sa participation et s’il a les moyens de financer le développement, au moins à court terme, de la société dont il vient de prendre le contrôle.

Le 26 janvier 2010, Augustin de Romanet, le directeur général de la CDC, a confirmé que Qualium cherchait à revendre Quick pour un montant compris entre 900 millions d’euros et 1 milliard d’euros. Et pourtant, aujourd’hui, la CDC n’a toujours pas trouvé d’acheteur. Difficile de comprendre comment une société, payée plus de 750 millions d’euros en 2006, et qui a enregistré, selon ses dirigeants, « une très belle performance opérationnelle » en 2009 n’a pas trouvé preneur à 800 millions d’euros.

Il faut dire que depuis son acquisition en 2006, Quick a enregistré des performances en dents de scie. Après avoir bondi de 69,3 à 90,4 millions d’euros entre 2006 et 2007, son résultat opérationnel (Ebitda) est redescendu à environ 80 millions d’euros en 2008 et 2009 (cf. tableau ci dessous issu de la note annuelle 2009 de Quick). Autrement dit, la CDCCI espère revendre Quick entre 10 et 12,5 fois son résultat opérationnel 2009 alors qu’elle a payé 40 fois et ne trouve pas preneur !



Source : rapport annuel Quick 2009

Alors que Qualium se dit vendeur, le groupe Quick a besoin d’argent frais pour se développer car la mise en œuvre de sa stratégie de toujours qui consiste à ouvrir de nouveaux restaurants à l’international est très capitalistique. Incroyable mais vrai mais apparemment, l’Etat français n’est pas prêt à suivre une nécessaire augmentation de capital et la direction de Quick envisage de réintroduire le titre Quick en Bourse !

L’affaire d’Avignon enfonce le clou
En réalisant cette opération financière, la CDC CI semble avoir manqué de cohérence. Cette acquisition ne correspond en rien aux critères d’investissement de la CDC : l’investissement est bien supérieur aux tickets habituels de la CDC CI, le montant de l’investissement rapporté au montant géré par la CDC CI est disproportionné, le secteur d’activité de Quick dénote complètement avec les priorités d’actions établies par la CDC CI, il n’existe aucun enjeu national et aucune stratégie de développement n’a été mise en place. Ces éléments nous ont semblé essentiels, c’est pourquoi nous nous sommes mobilisés pour vous informer.

Pour conclure ce dossier, nous pouvons dire qu’aujourd’hui nous, Français, sommes « collés » avec des actions Quick en portefeuille. Nous avons acheté ces actions beaucoup trop chères, ne pouvons pas les revendre et devons suivre une augmentation de capital alors que nous n’en avons pas les moyens. Et dire que nous avons consacré la moitié de notre portefeuille à cette opération... L’affaire du jeune décédé à Avignon suite à un repas pris dans notre entreprise publique complique un peu plus encore la situation.

La semaine prochaine, nous vous proposons une interview exclusive de Jean-Marie Kuhn, l’homme par qui tout a commencé. Avec lui, nous reviendrons sur ce dossier passionnant.

Pauline Raud & Franck Morel