par Patrick Markey

SYRTE, Libye, 18 novembre (Reuters) - Après six mois de combats acharnés, les forces libyennes sont en passe de reprendre Syrte, bastion de l'Etat islamique en Libye, qui s'est réduit comme peau de chagrin et dont le sort illustre le reflux général de l'organisation djihadiste.

Responsables américains et libyens en sont convaincus, la victoire est à portée de main face à un noyau d'irréductibles retranchés dans un fort Alamo d'environ un kilomètre carré.

L'âpreté et la durée des combats menés dans cette ville côtière de Libye constituent les signes avant-coureurs de la tâche qui attend les forces irakiennes et leurs alliés pour reprendre Mossoul, capitale de fait de l'EI dans le nord de l'Irak.

"On fait face à une résistance incroyable", admet Ossama Issa, un homme d'affaires de 37 ans qui combat avec les forces libyennes à Ghiza, dernier quartier de la ville sur lequel flotte encore le pavillon noir des djihadistes.

"Ils n'abandonnent pas leurs positions même quand les maisons s'effondrent sur eux. Ils savent que de toute façon ils vont mourir, alors ils se battent", explique-t-il.

Cette conquête, dont personne n'avait anticipé la durée, a été payée chèrement par les forces libyennes : au moins 660 morts et 3.000 blessés.

Les combattants de l'EI ont démontré leur aptitude à la guérilla urbaine et mis en lumière la vulnérabilité de leurs adversaires. Les centaines de bombardements aériens de l'aviation américaine n'ont été, au final, que d'une efficacité limitée pour déloger les insurgés.

L'autre enseignement de la bataille de Syrte porte sur le caractère essentiel de l'encerclement des rebelles dont le nombre est aujourd'hui estimé à environ 400 par un haut gradé libyen.

Lors de l'offensive, nombre de djihadistes sont parvenus à fuir et mènent désormais des attaques derrière la ligne de front avec des engins explosifs toujours plus perfectionnés, compliquant l'avancée des forces libyennes.

La dureté des combats exacerbe en outre les rivalités entre les différentes factions unies dans la lutte contre les islamistes. Cet aspect ne devrait pas être négligé par la coalition très hétérogène qui tente de reprendre Mossoul.

L'armée irakienne bénéficie de l'appui de milices chiites et de peshmergas kurdes sur un théâtre d'opérations où la Turquie, également engagée dans le processus, réclame le droit de protéger les populations sunnites locales.

La prise de Syrte aurait valeur de symbole, celui de l'incapacité de l'organisation djihadiste à s'exporter et à s'implanter durablement dans des pays autres que ceux - la Syrie et l'Irak - sur lesquels elle a proclamé son califat.

"UNE SALE GUERRE"

Une chute éventuelle de Mossoul dans un avenir proche constituerait un revers majeur pour les djihadistes, dont la capacité à recruter de nouveaux combattants serait certainement amoindrie.

A Syrte, la reconquête se poursuit rue par rue, pas à pas, dans le quartier de Ghiza infesté de tireurs embusqués et d'engins piégés. Les djihadistes circulent entre les immeubles au moyen de tunnels.

"La nuit, on les entend crier dans notre direction. Ils disent qu'ils vont venir nous tuer", raconte Asrouf al Kat, un étudiant combattant. "Il y a des snipers, des mines. On avance, ils nous lancent des grenades. C'est une sale guerre", admet-il.

Le chef de l'Etat islamique, Abou Bakr al Baghdadi, a de nouveau appelé ce mois-ci ses fidèles à se rendre en Libye pour combattre. Ce n'est pas la première fois qu'il se tourne vers des candidats au djihad venus de Tunisie, du Soudan ou d'Egypte mais il semble que l'espoir ait changé de camp.

"Syrte devait être une position de repli à partir de l'Irak et de la Syrie. C'est fini", explique Geoff Porter, de North Africa Risk Consulting, société spécialisée dans les risques politiques en Afrique du Nord et au Sahara.

"Sur le plan stratégique, l'Etat islamique pouvait prendre Syrte comme exemple et dire à ses fidèles que les choses devenaient globales et qu'elles allaient croissant. Ce n'est plus possible maintenant", continue Geoff Porter.

Selon des responsables du renseignement des brigades de Misrata, les djihadistes ont, à un moment donné, compté jusqu'à 2.500 hommes, des étrangers pour la plupart, à Syrte, une agglomération de 80.000 habitants.

En face d'eux, les forces libyennes sont constituées principalement de civils qui avaient combattu l'ancien dictateur Mouammar Kadhafi et ont repris les armes lorsque l'EI a commencé à s'implanter dans le pays.

"De ce que je peux voir, ça peut prendre une semaine ou deux", estime Salah Al Houthi, un étudiant de 22 ans. "Ils ont fait des stocks de matériels et de nourriture sous terre".

"C'est pareil qu'en Irak et en Syrie. Ils utilisent des tunnels et se servent de civils comme boucliers humains", explique Mohammed Gnaidy, qui est chargé du renseignement dans les brigades de Misrata.

"Ce sont des combattants professionnels. Leur objectif est de tuer le plus grand nombre d'entre nous". (Pierre Sérisier pour le service français, édité par Gilles Trequesser)