Dans la continuité de notre précédent article sur les suspensions de cotation, cette actualité est l’occasion de revenir sur la forte réticence des entreprises de marché à procéder à la radiation des sociétés de leur catalogue, même lorsque ces dernières se placent en porte-à-faux avec leurs obligations de transparence.

Plusieurs raisons théoriques peuvent justifier la mise en œuvre d’une sanction de radiation de la cote. La menace de cette sanction peut d’abord, ex ante, servir d’épée de Damoclès en encourageant les entreprises à satisfaire leurs obligations de transparence vis-à-vis du marché. Elle peut également permettre de protéger la réputation des entreprises de marché, comme Euronext, en obligeant ces entreprises à ne conserver dans leur catalogue que les sociétés qui se conforment à leurs obligations. Enfin, l’objectif peut être celui de protéger les investisseurs, et en particulier les investisseurs de détail, contre le risque de prendre une décision d’investissement en étant insuffisamment informé sur la situation de la société.

La radiation d’une société cotée ne peut pour autant être prise à la légère. Ces mesures sont en effet très coûteuses pour les investisseurs, en particulier dans la mesure où il leur est difficile de céder leurs actions une fois la société radiée. Contrairement aux marchés américains, où les investisseurs peuvent acheter et vendre assez facilement des actions de sociétés radiées sur les marchés de « gré-à-gré » (OTC) par l'intermédiaire de broker-dealers spécialistes de ce type de valeur, ces solutions de liquidité demeurent très limitées en Europe. Il peut donc être extrêmement difficile, en particulier pour les investisseurs de détail, de céder sa participation dans une société radiée.

Trois exemples permettent de prendre la mesure du pour et du contre des mesures de radiation : ceux des sociétés Solutions 30 et Hipay, dont les commissaires aux comptes ont prononcé l’impossibilité de certifier les comptes, et celui de Recylex, une société en procédure de conciliation depuis juin 2021 à l’égard de laquelle une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 15 avril 2022.

1 - Solutions 30 et Hipay : l’impossibilité de certifier les comptes

Bien que peu courantes, plusieurs décisions d’impossibilité de certifier les comptes, faute d’éléments suffisants permettant d’en apprécier la sincérité et l’exactitude, ont récemment été prononcées par les commissaires aux comptes de sociétés cotées françaises. Les sociétés Hipay et Solutions 30, cotées sur Euronext Paris, en sont deux illustrations.

En 2020, les commissaires aux comptes d’Hipay annonçaient qu'ils n'étaient pas en mesure de certifier les comptes annuels 2019 de la société. Celle-ci a finalement réussi à obtenir la certification de ses comptes ultérieurement par les mêmes auditeurs et a obtenu en 2020 la radiation de ses actions d'Euronext et leur transfert sur Euronext Growth, où les obligations d'information sont moins strictes que sur le marché principal d'Euronext.

La société du SBF 120 Solutions 30 a quant à elle demandé et obtenu d'Euronext Paris la suspension de cotation de ses actions sans donner au public la moindre raison de demander cette suspension. Trois semaines plus tard, Ernst & Young, le commissaire aux comptes de Solutions 30, a annoncé publiquement son incapacité de certifier les comptes de la société, laquelle impossibilité avait justifié dès l’origine la suspension de la cotation. Solutions 30 a finalement annoncé, après deux semaines de suspension, que la cotation de ses actions allait reprendre et qu'elle envisageait de demander le retrait de ses actions de la cote. Depuis lors, la société est cependant restée cotée sur Euronext, bien qu'elle n'ait jamais obtenu la certification de ses états financiers 2020.

Nous avions montré dans un précédent article en quoi la mesure de suspension demandée et obtenue par Solutions 30 ne pouvait être justifiée ni par l’intérêt des actionnaires, ni par celui de la société. La question se pose cependant de savoir si les manquements de Solutions 30 et Hipay à leurs obligations de transparence pouvaient justifier la radiation de ces sociétés.

Dans le cas d’Hipay, la société est finalement parvenue à obtenir sa re-cotation sur un marché où les obligations de transparence sont moins contraignantes, permettant ainsi aux investisseurs de continuer à bénéficier d’une solution de liquidité. Le cas de Solutions 30 est cependant plus épineux dans la mesure où sa réinscription sur un système multilatéral de négociation tel qu'Euronext Growth, moins contraignant en termes d’obligations de transparence, n’est pas une option, du fait de l’incapacité persistante de la société à obtenir la certification de ses états financiers annuels (exigée par la réglementation et les règles de marché d’Euronext Growth). Par conséquent, un retrait de la cote de Solutions 30 aurait été extrêmement coûteux pour les investisseurs de détail, qui auraient été contraints de trouver une solution de liquidité hors de toute plateforme de négociation suffisamment active. D’où une situation paradoxale où Solutions 30 est demeurée cotée sur le marché réglementé Euronext malgré son incapacité persistante à obtenir la certification de ses comptes, là où Hipay, qui avait finalement réussi à l'obtenir, s’est vue déclasser sur le système multilatéral de négociation (moins réglementé) Euronext Growth.

2 - Le cas de Recylex, une société en difficulté financière

Le 13 mai 2020, la cotation des actions de Recylex a été suspendue dans l'attente de la publication d'un communiqué de presse par la direction de la société. Le 30 juin 2020, Recylex a annoncé que cette suspension resterait en place jusqu'à ce que la société soit en mesure de communiquer de manière fiable sur sa capacité à poursuivre son activité, la société étant confrontée à d'importantes difficultés financières et faisant alors l'objet d'une procédure de conciliation depuis juin 2021. La négociation n'a toutefois jamais repris depuis lors. Il y a du reste fort à parier que les actionnaires de Recylex demeureront prisonniers de leur investissement encore pour un temps, la société ayant récemment demandé son placement en redressement judiciaire.

Nul doute que la radiation de Recylex aurait été très coûteuse pour ses actionnaires de détail. La mesure aurait cependant pu se justifier par la nécessité de protéger les investisseurs non encore actionnaires de Recylex mal informés contre le risque d’acquérir ces actions sans être en mesure d’apprécier l'impact de l'ouverture de la procédure collective sur la situation opérationnelle et financière de la société. Elle aurait en tout état de cause été préférable à la suspension de cotation quasi-permanente prononcée par Euronext, en l’absence de laquelle les investisseurs de détail auraient au moins pu espérer obtenir l’acquisition de leurs titres par un investisseur stratégique spécialiste des sociétés en difficulté.

Il n’existe pas de réponse binaire à la question de savoir s’il convient de radier de la cote une société ne respectant plus ses obligations de transparence. Les entreprises de marché devraient cependant systématiquement examiner, au cas par cas, quels sont les avantages et inconvénients de la radiation dans un contexte donné, et ne jamais utiliser les mesures de suspension comme un moindre mal illusoire et nuisible aux intérêts des investisseurs.

Paul Oudin et Pierre Petitcolas, Vermeille & Co