Tokyo (awp/afp) - La Banque du Japon (BoJ) a maintenu jeudi sa politique monétaire ultra-accommodante, à rebours des autres grandes banques centrales mondiales, ce qui a brièvement propulsé le dollar au-delà du seuil symbolique des 145 yens, un nouveau record depuis 24 ans.

Le dollar est monté jusqu'à plus de 145,3 yens juste avant 03h00 GMT, un nouveau record depuis 1998. Il est toutefois rapidement redescendu à un niveau proche mais en dessous des 145 yens.

Sans surprise, le comité de politique monétaire de la BoJ a annoncé le maintien de sa politique de soutien massif à l'économie caractérisée par son taux négatif de 0,1% sur les dépôts des banques auprès d'elle (pour les inciter à prêter davantage) et ses achats illimités d'obligations publiques japonaises pour plafonner leurs rendements à dix ans à 0,25%.

"Il est nécessaire d'être attentif aux développements sur les marchés financiers et des changes et à leur impact sur l'activité économique et les prix au Japon", a souligné la BoJ.

Elle a aussi rappelé les "incertitudes extrêmement élevées" entourant l'économie du pays, parmi lesquelles l'évolution de la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, la flambée des prix énergétiques et les niveaux d'inflation observés à l'étranger, souvent bien plus élevés que dans l'archipel.

L'institution continue de s'attendre à ce que la hausse des prix à la consommation au Japon ralentisse à partir de l'an prochain, tout en notant que la "pression inflationniste sous-jacente" devrait augmenter.

L'inflation nationale évolue depuis avril au-delà de l'objectif de la Banque centrale (2% hors produits frais) et a accéléré en août à 2,8% sur un an, son plus haut niveau depuis 2014.

Le Japon en décalage

Mais la BoJ continue d'estimer que les conditions ne sont pas encore réunies pour un resserrement monétaire au Japon, faute notamment de hausses de salaires suffisantes pour créer un cercle vertueux de croissance.

Pour des raisons structurelles, "la croissance des salaires a été plutôt stable autour de 1% sur un an jusqu'à présent" au Japon, soit un niveau bien plus modéré que dans la plupart des autres pays de l'OCDE, et la reprise post-pandémie a été plus poussive que dans les autres principales économies avancées, a aussi convenu l'économiste d'UBS Masamichi Adachi dans une récente note.

La BoJ a décidé jeudi par surprise de prolonger son dispositif spécial d'aides aux entreprises face au Covid-19, un signe supplémentaire montrant qu'elle continue de penser que l'économie japonaise n'est pas encore sortie de l'auberge sur ce front.

Il devient toutefois de plus en plus compliqué pour la BoJ de rester ultra-accommodante car les autres grandes banques centrales resserrent sérieusement la vis, à l'image de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui a relevé mercredi son taux directeur de 0,75 point de pourcentage pour la troisième fois d'affilée (il est désormais autorisé à fluctuer dans une fourchette allant de 3,0 à 3,25%) et laissé entrevoir de nouvelles hausses d'ici à la fin de l'année.

Ce décalage force la BoJ à considérablement intensifier ses achats d'obligations publiques japonaises depuis plusieurs mois, et cela fait plonger le yen car les titres financiers libellés en dollar sont bien plus attractifs.

"Prêts à tout moment"

La BoJ avait pour habitude de souligner que la dépréciation du yen est un facteur plutôt positif pour l'économie japonaise, en dopant les bénéfices des groupes nippons générés à l'étranger.

Mais en relativisant l'impact négatif de la chute du yen sur le pouvoir d'achat des ménages nippons, ce message est devenu difficile à digérer pour l'opinion publique.

Sous pression, le gouvernement nippon affirme être prêt à intervenir sur le marché des changes pour soutenir le yen. Mais une telle opération semble très compliquée sans concertation avec Washington, et pour beaucoup d'analystes, les pistolets de Tokyo sont chargés à blanc.

"Nous sommes prêts à tout moment" pour intervenir, a insisté jeudi le vice-ministre japonais des Finances Masato Kanda, selon des déclarations rapportées par le journal Nikkei. Sans que cela ne calme la chute du yen dans l'immédiat.

"Même si les investisseurs étrangers risquent de continuer à s'attaquer au yen et aux rendements obligataires japonais tant que le cycle de hausses des taux de la Fed n'aura pas atteint son pic, nous pensons que la BoJ n'a pas d'autre choix que de maintenir" sa politique ultra-accommodante actuelle, a estimé jeudi l'économiste Shigeto Nagai dans une note du cabinet Oxford Economics.

Le gouverneur de la BoJ Haruhiko Kuroda, grand artisan de sa politique monétaire ultra-accommodante depuis 2013, achèvera en avril 2023 son second et dernier mandat mais cela ne devrait pas non plus changer la donne, selon M. Nagai.

afp/jh