par Lucien Libert

PARIS, 21 novembre (Reuters) - Plusieurs manifestations ont eu lieu samedi en France contre la proposition de loi dite de "sécurité globale" dont un des articles concentre de vives critiques de la part des rédactions françaises qui y voient un risque d'entrave à la liberté d'informer.

Cet article 24 interdit de filmer des membres des forces de l'ordre dans l'intention de nuire à leur intégrité "physique ou psychique".

A Paris, un rassemblement s'est tenu sur la place du Trocadéro à l'appel de syndicats de journalistes, de sociétés de rédacteurs et d'associations de défense des droits de l'homme comme la Ligue des droits de l'homme et Amnesty France.

Plusieurs milliers de personnes, d'après les estimations de journalistes de Reuters, se sont réunies sous un franc soleil, scandant "Tout le monde veut filmer la police". "Policiers floutés, justice aveugle", pouvait-on lire sur une pancarte tenue par l'une d'elles tandis qu'une autre promettait: "On baissera nos téléphones portables quand vous baisserez vos armes."

Des heurts sont survenus en fin de manifestation, conduisant la préfecture de police à demander d'évacuer les lieux. Sur son compte Twitter, cette dernière faisait état de 23 interpellations à 19h45.

Un policier a été légèrement blessé, a-t-elle aussi précisé.

D'autres manifestations ont eu lieu à Marseille, Montpellier, Rennes et Saint-Étienne. A Lille, un millier de manifestants selon une estimation de France Bleu Nord se sont retrouvés en fin de matinée sur la place de la République. "Sécurité globale, floutage de gueule", pouvait-on lire sur une pancarte.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ) avait annoncé en amont une vingtaine de rassemblements.

Une première manifestation, mardi soir aux abords de l'Assemblée nationale, a donné lieu à des affrontements avec les forces de l'ordre et deux journalistes ont été interpellés et placés en garde à vue.

L'examen en première lecture de la proposition de loi, présentée par des députés La République en marche dont Christophe Castaner et Yaël Braun-Pivet, la présidente de la commission des lois de l'Assemblée, a s'est achevée vendredi soir. Un vote solennel est prévu mardi prochain.

Son article 24 prévoit de punir d'un an de prison et 45.000 euros d'amende la diffusion "de l’image du visage ou tout autre élément d’identification" d'un policier ou d'un gendarme "dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique".

Un amendement déposé par le gouvernement et adopté vendredi soir par les députés a modifié cet article controversé en introduisant en préalable à sa formulation l'expression "Sans préjudice du droit d’informer".

Le Premier ministre, Jean Castex, avait annoncé jeudi soir l'introduction de cet amendement gouvernemental afin "de préserver l’équilibre du texte et de lever toute ambiguïté sur son intention de garantir le respect des libertés publiques, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression, tout en protégeant mieux celles et ceux, policiers et gendarmes, qui assurent la protection de la population".

RISQUE D'ENTRAVE

Lors des débats, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a assuré que cet article 24 "ne contrevient en aucun cas à la liberté de la presse et à la liberté d'informer".

"Un journaliste ou un citoyen qui filme une opération de police pourra bien sûr continuer de le faire. En revanche, ceux qui accompagnent leurs images d’un appel à la violence, en diffusant les noms et les adresses de nos policiers, ne pourront plus le faire", a-t-il dit.

L'argument n'a pas apaisé les craintes.

"Maintenir cet article 24 est une entreprise de dissuasion massive d'exercer ces libertés fondamentales pour chaque citoyen car il permet de procéder à des interpellations et des gardes à vue préalable sans fondement", a dénoncé le député Ugo Bernalicis, spécialiste des questions de sécurité à La France insoumise.

L'organisation Reporters sans Frontières (RSF) juge que "si le risque de condamnation de journalistes sur le fondement de ce texte (de loi) est faible, les policiers pourraient procéder, sur le terrain, à l’arrestation d’un journaliste en train de filmer leurs opérations, ce qui représente une entrave au droit d’informer".

Une quarantaine de rédactions françaises reprochent pareillement au ministre de l'Intérieur de vouloir porter atteinte à la liberté de la presse par le biais de cette proposition de loi mais aussi via le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre présenté en septembre.

"La volonté exprimée d’assurer la protection des journalistes revient à encadrer et contrôler leur travail. Ce dispositif s’inscrit dans un contexte particulièrement inquiétant avec la proposition de loi sur la sécurité globale qui prévoit la restriction de la diffusion des images de policiers et de gendarmes", déplorent les signataires de la tribune publiée vendredi.

"Les journalistes n’ont pas à se rapprocher de la préfecture de police pour couvrir une manifestation. Il n’y a pas d’accréditation à avoir pour exercer librement notre métier sur la voie publique. Nous refuserons, pour cette raison, d’accréditer nos journalistes pour couvrir les manifestations", ajoutent-ils.

Sur Twitter, Gérald Darmanin a affirmé samedi qu'"il n'est en aucun cas prévu d’accréditer ou d’autoriser un journaliste à couvrir une manifestation: chaque journaliste est évidemment libre de le faire ou non". (avec Jean-Philippe Lefief, Bertrand Boucey, Henri-Pierre André et Elizabeth Pineau)