Par Christophe Barraud et Vanguélis Panayotis.

Dans notre précédente note, nous avions souligné que la croissance française rebondirait significativement au 3ème trimestre suite au déconfinement. Ce phénomène s’explique essentiellement par une augmentation des dépenses des ménages qui a notamment bénéficié au secteur du tourisme durant les vacances d’été. Néanmoins, comme nous l’avions également montré, la reprise économique a montré des signes d’essoufflement à partir de la mi-août suite au regain d’inquiétude vis-à-vis de la situation sanitaire et à l’atonie de la demande constatée par de nombreuses entreprises opérant dans le secteur des services. Les derniers chiffres publiés pour le mois de septembre ont confirmé nos craintes de rechute de l’activité pour la fin de l’année. La France a fait l’objet de restrictions (comme une quatorzaine d’isolement obligatoire au retour) imposée par différents pays européens comme le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne mais a aussi été contrainte de durcir les règles dans plusieurs métropoles clés comme Marseille et Paris. Ces mesures ont déjà poussé l’Insee à revoir en baisse ses perspectives de croissance pour le 4ème trimestre (de +1% à 0%). Néanmoins, les révisions à la baisse sont susceptibles de se poursuivre dans un contexte où les entreprises ne semblent pas en mesure de prendre le relais dans la phase de reprise en raison d’une incertitude croissante sur les perspectives à court et à moyen terme (nouvelle vague épidémique, vague de faillites, Hard Brexit, élections américaines, etc.).

I- LE RETOURNEMENT DE TENDANCE A DÉJÀ ÉTÉ CONFIRMÉ AU MOIS DE SEPTEMBRE

Après des chiffres encourageants durant les vacances d’été (juillet/août), les premières données du mois de septembre se sont avérées décevantes notamment dans le secteur des services. En effet, l’indice mensuel publié par Markit1 a reculé de 4pts en septembre pour atteindre 47,5, signalant la première contraction depuis le mois de mai. Selon le rapport, « l’activité a diminué dans cinq des six sous-secteurs couverts par l’enquête, la seule croissance ayant été enregistrée dans le secteur de l’intermédiation financière, dont l’activité a fortement progressé par rapport au mois d’août ». Dans ce contexte, l’indice composite s’est également replié sous le seuil d’expansion de 50, atteignant 48,5 (plus bas depuis le mois de mai). Ce retournement s’explique par la hausse du nombre de nouveaux cas confirmés de Covid-19 et le durcissement progressif des mesures de restriction en France et en Europe.

Un rapport publié par la Conseil d’Analyse Economique (CAE) le 12 octobrea confirmé ce retournement de tendance dans les secteurs de la restauration et des loisirs.

FRANCE : CONSOMMATION DANS LES SECTEURS DE LA RESTAURATION ET DES LOISIRS

conseil-analyse-economique

Source : Rapport du Conseil d’Analyse Economique (12/10/2020) – Exploitation des données Crédit Mutuel Alliance Fédérale

Enfin, ce phénomène a également été observée au travers des données dont nous disposons dans le secteur de l’hospitalité, avec une rechute du RevPAR3 en septembre dans l’ensemble des pays européens. La France, dont la reprise avait été particulièrement vigoureuse au cours de l’été, ne fait pas exception : elle a perdu son avance et a convergé avec l’Allemagne.

ÉVOLUTION MENSUELLE DU REVENU PAR CHAMBRE (REVPAR) DES HÔTELS PAR PAYS

(Évolution en % relativement au même mois en 2019, exprimée en chambres construites)REVPAR
Sources: christophe-barraud.com, MKG Consulting

A l’échelon français et européen, l’hôtellerie a donc vécu un mois de septembre bien morose, ce qui est d’autant plus problématique que ce mois représente d’habitude 11,3% du chiffre d’affaires annuel. La présence conjointe de clients d’affaires se mobilisant pour la rentrée et de clients loisirs faisant durer le plaisir de l’été en fait normalement le 2ème mois le plus important de l’année pour le secteur. L’impact économique du ralentissement a donc été significatif dès septembre.

Cette dynamique est appelée à durer, car les clients d’affaires individuels limitent logiquement leurs déplacements en application des consignes sanitaires tandis que l’événementiel est à l’arrêt et va le rester longtemps, comme le montrent à Paris l’annulation du Salon de l’Agriculture (février-mars 2021) ou à Lyon le report du SIRHA de janvier à juin 2021.

II- LA RECHUTE DE L’ACTIVITÉ VA SE POURSUIVRE AU QUATRIÈME TRIMESTRE

Sur le plan économique, malgré ce mois de septembre décevant, le chiffre du PIB du 3ème trimestre mettra en évidence un rebond sans précédent (de l’ordre de 15% en rythme trimestriel). Toutefois, comme nous l’avions déjà mentionné, nous entrons dans une période charnière ou le risque de rechute de l’activité est très important. A ce titre, nous pouvons noter que, lors de la publication de sa note de conjoncture du 6 octobre4 , l’Insee a fait le choix de revoir en baisse sa prévision de croissance pour le 4ème trimestre à 0% (contre +1% précédemment).

En parallèle, de nombreuses faillites sont d’ores et déjà attendues pour le mois d’octobre. Comme l’ont souligné Les Echos5, « depuis le 24 août, les entreprises qui ne peuvent pas régler leurs factures ont 45 jours pour se déclarer en cessation de paiements auprès du tribunal de commerce », ce qui devrait se traduire par une remontée des défaillances d’entreprises dès le mois d’octobre et donc une hausse du chômage.

Plus récemment, le couvre-feu annoncé, impliquant la fermeture des bars et des restaurants à partir de 21h en Ile-de-France et dans 8 métropoles majeures, devrait également peser sur l’activité touristique. Le cas de Marseille, où les restrictions appliquées aux bars et restaurants ont été fluctuantes ces dernières semaines, offre un éclairage sur les perspectives à venir dans les zones concernées :

Marseille : Évolution jour par jour des taux d’occupation (TO), prix moyens (PM) et revenus par chambre (RevPAR) hôteliers, de juillet à mi-octobre 2020

(Évolution en % relativement au même jour de semaine en 2019)

marseille

Sources: christophe-barraud.com, MKG Consulting

Évolution jour par jour des revenus par chambre (RevPAR) hôteliers, à Marseille et en régions hors Ile-de-France, de juillet à mi-octobre 2020

(Évolution en % relativement au même jour de semaine en 2019)

marseille-2

Sources: christophe-barraud.com, MKG Consulting

La reprise d’activité estivale, qui avait été forte à Marseille, a ainsi été très rapidement stoppée par les annonces de restrictions affectant les bars et restaurants. La ville a ainsi bien involontairement fait figure de cas d’école. Le constat est qu’après quelques semaines, l’écart entre la tendance de Marseille et les standards nationaux en régions fait apparaître un manque à gagner spécifique culminant à -17% en période de fermeture précoce (alors définie à 23h), et de -23% pendant la période de fermeture complète. On peut donc estimer à environ 20 points de pourcentage de baisse de RevPAR l’impact spécifique6 supplémentaire du couvre-feu dans les villes concernées.

Par conséquent, les nouvelles mesures de restriction, applicables pendant au moins 6 semaines, impliquent une rechute de l’activité dans les zones concernées (plus de 54 départements) et, compte tenu de leurs poids, à l’échelon national. De même, d’autres zones sont susceptibles de connaître le même sort dans les prochaines semaines dans la mesure où les vacances de la Toussaint poussent les touristes à s’orienter vers les zones jusqu’ici épargnées, favorisant la circulation du virus. On peut d’ailleurs noter que l’estimation flash du PMI services pour le mois d’octobre7 a mis en évidence une contraction plus marquée qu’en septembre (46,5 contre 47,5 auparavant).

IMPACT IMMÉDIAT DES ANNONCES SUR LES RÉSERVATIONS

(Évolution nette des réservations pour les mois de novembre et décembre 2020 entre le 12/10 et le 19/10)

impact-reservations

Sources: christophe-barraud.com, MKG Consulting

Dans un contexte où la visibilité va rester limitée à court terme pour les entreprises en raison d’autres incertitudes liées notamment au Brexit ou aux élections américaines, une contraction de l’activité hôtelière et plus largement de l’ensemble du secteur des services semble désormais le scénario central pour le 4ème trimestre. Etant donné le poids des services dans l’économie, la croissance française se contractera comme l’a déjà signalé le ministre de l’économie dans son interview au Figaro8. Ce risque était déjà anticipé par Bercy qui prévoit une chute du PIB de 10% pour l’ensemble de 2020, un chiffre qui laissait de la place pour une rechute au 4ème trimestre.

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1 https://www.markiteconomics.com/Public/Home/PressRelease/1ffc099de56c49d0833181efe1ffe31a
2 http://www.cae-eco.fr/dynamiques-de-consommation-dans-la-crise-les-enseignements-en-temps-reel-des-donnees-bancaires : graphique 7
REVPAR : prix de vente moyen d’une chambre X taux d’occupation moyen
4 https://insee.fr/fr/statistiques/4796792?sommaire=4473296
5 https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/coronavirus-une-vague-de-faillites-menace-la-france-cet-automne-1237957
6 Il s’agit d’un impact « spécifique » qui doit être ajouté à la tendance générale dans les autres zones ; par exemple si le Revenu par chambre disponible se contractait de 50% en Province dans les villes non concernées par le couvre-feu, alors il reculerait d’environ 20% + 50% = 70% dans les agglomérations concernées.
7 https://www.markiteconomics.com/Public/Home/PressRelease/4859649a359646b1b0e9598aea3b7d92
https://www.lefigaro.fr/politique/bruno-le-maire-contre-l-islamisme-le-combat-culturel-est-le-combat-essentiel-20201022