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par Tangi Salaün

PARIS, 3 juillet (Reuters) - La justice française a condamné vendredi soir à une peine de 30 ans de prison, assortie de 20 ans de sûreté, le djihadiste Tyler Vilus au terme du premier procès organisé en France d'un "revenant" du groupe Etat islamique (EI) pour des crimes commis en Syrie.

"En ne choisissant pas la perpétuité, la cour a décidé de vous laisser une lueur d'espoir pour que vous évoluiez", a dit le président de la cour d'assises spéciale de Paris, Laurent Raviot.

L'avocat général avait requis une condamnation à perpétuité assortie de 22 ans de sûreté.

Après quatre ans d'instruction et avec peu de témoins directs, le procès de Tyler Vilus, arrêté il y a cinq ans à Istanbul alors qu'il allait prendre un vol pour Prague en pleine vague d'attentats en Europe, a illustré la difficulté de juger une personne pour des crimes perpétrés dans un pays inaccessible aux enquêteurs.

L'argument est mis en avant par les autorités françaises pour justifier de ne pas rapatrier les djihadistes capturés au Levant par crainte de ne pas pouvoir les sanctionner lourdement, alors que des dizaines de personnes condamnées pour des faits de terrorisme doivent être libérées au cours des prochains mois.

Faute de preuves suffisantes et en dépit des convictions des services de sécurité et du juge d'instruction, le parquet national antiterroriste (Pnat) avait renoncé à poursuivre Tyler Vilus pour le rôle majeur qu'il le soupçonnait de devoir jouer dans les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, dont l'ombre a pesé sur les débats.

Le djihadiste d'origine antillaise, converti à l'islam à 21 ans - il en a 30 aujourd'hui -, a fréquenté en Syrie la plupart des membres du commando de l'EI. "Ouvrir le dossier Tyler Vilus, c'est ouvrir le bottin du djihadisme francophone", a résumé l'avocat général.

Il connaissait notamment le cerveau présumé des attentats, le Belge Abdelhamid Abaaoud, auquel il a envoyé le 2 juillet 2015, après avoir été arrêté à l'aéroport d'Istanbul, un sms dans lequel il promettait : "Quand je sors, j'agis."

Identifié par les services de sécurité français, il a été extradé trois semaines plus tard.

Tyler Vilus a maintenu pendant son procès qu'il n'avait rien à voir avec les attentats qui ont fait 129 morts à Paris. Mais il a pour la première fois reconnu avoir quitté la Syrie avec le projet de "mourir les armes à la main". "Dans ma tête, quand je pars, je sais que je vais mourir. C'est un chemin sans retour", a-t-il déclaré.

"ENTRAÎNÉ À TUER"

"Tyler Vilus s'est entraîné à tuer en Syrie pour pouvoir tuer en France (…) Faire couler le sang des mécréants est pour lui jubilatoire", a martelé l'avocat général. "Une chose est certaine: s'il avait dû prendre part aux attentats du 13-Novembre, il aurait été le chef du commando."

Faute de pouvoir le prouver, la cour d'assises spéciale de Paris s'est appuyée pour le condamner sur des vidéos mises en ligne par l'EI à l'époque où le groupe djihadiste accordait une grande publicité à ses crimes pour attirer des recrues.

La plus importante, justifiant sa condamnation pour meurtres en bande organisée, a été celle de l'exécution en pleine rue de deux hommes dans l'est de la Syrie, diffusée en mai 2015.

Tyler Vilus, qui se faisait appeler Abou Hafs, a nié tout "rôle actif" dans cette mise en scène de détenus à genoux, en combinaison orange, à laquelle il a dit avoir assisté par hasard en sortant de la mosquée. "C'était l'horreur de la normalité", s'est-il justifié.

L'argument n'a pas convaincu les magistrats, qui l'ont déclaré coupable de ces meurtres, d'autant que quelques mois plus tôt, après la décapitation du reporter américain James Foley, Tyler Vilus avait dit au journaliste français David Thomson: "Je rêve de faire une vidéo où j'égorge un Français, où je parle en français et lui aussi."

Simple fanfaronnade destinée à la propagande, a-t-il assuré à ses juges, se décrivant comme un "soldat zélé".

Tyler Vilus a assuré avoir totalement rompu depuis avec "l'idéologie mortifère" de l'EI, grâce notamment à des études de philosophie et de psychologie que l'ancien apprenti maçon a entamées en prison, et au soutien de sa famille, dont celui de sa mère, Christine Rivière, surnommée "Mamie djihad", qui a écopé de dix ans de prison en 2017 pour l'avoir rejoint à trois reprises en Syrie.

Cette rédemption, qualifiée de "duperie" par l'avocat général, a laissé le président de la cour Laurent Raviot dubitatif, sur fond de suspicion de "taqiya", la stratégie de dissimulation des islamistes radicaux. (édité par Blandine Hénault et Henri-Pierre André)