Cette décision marque la cristallisation d’inquiétudes persistantes sur la trajectoire budgétaire américaine, toujours engluée dans une dette croissante et des déficits chroniques. Ce déclassement, bien que largement anticipé par les marchés, souligne une réalité économique difficile à ignorer.

Les oracles de la finance : comment notent les agences ?

Trois noms dominent le paysage : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. Leur métier ? Évaluer la capacité des États à honorer leurs engagements financiers. Leur méthode ? Un savant mélange d’indicateurs économiques, politiques et institutionnels.

Les critères économiques (dits quantitatifs) :

  • PIB et croissance : Plus l’économie est forte et dynamique, plus la dette paraît soutenable.

  • Inflation : Elle reflète la crédibilité de la politique monétaire. Depuis 2021, les États-Unis affichent une inflation moyenne de 4,95% par an depuis 2021 (contre 1,9% entre 2011 et 2015). 

  • Déficit budgétaire : Ce n’est pas tant le déficit qui inquiète, mais ce qu’on en fait. Investir dans la croissance est acceptable ; rembourser des intérêts avec de nouveaux emprunts l’est beaucoup moins. En 2024, le déficit atteint 6,4% du PIB. Moody’s anticipe un creusement à 9% d’ici dix ans.

  • Dette publique : Elle culmine aujourd’hui à 121% du PIB, contre 100% en 2015.

Quelques chiffres récents :
Sur les six premiers mois de l’année fiscale 2025 (octobre 2024 - mars 2025), le déficit américain a bondi de 23% par rapport à l’an dernier, atteignant 1 300 milliards de dollars. Les recettes n’ont progressé que de 3%, à 2 300 milliards, tandis que les dépenses ont grimpé de 10%, à 3 600 milliards.

Les critères politiques et institutionnels (dits qualitatifs) :

  • Stabilité politique : Une gouvernance cohérente inspire confiance.

  • Légitimité : Une démocratie robuste favorise la discipline budgétaire.

  • Efficacité : La capacité à adopter et à appliquer des politiques pertinentes est cruciale.

Des conséquences limitées mais symboliques

Les agences ne disposent pas d’informations que les marchés ignorent. Les investisseurs sont bien conscients de la situation budgétaire américaine et des tensions politiques. La réaction des marchés a donc été mesurée. Les taux des bons du Trésor à 10 ans n'ont que légèrement augmenté. 

Cette annonce vient ajouter de la tension à un marché obligataire déjà fébrile. Le taux à 30 ans a de nouveau franchi la barre des 5 %, un seuil scruté de près.

Pour autant, une dégradation de la note n’est pas sans effet. Elle peut alourdir le coût des emprunts, compliquer l’accès aux capitaux et ternir l’image d’un pays auprès des institutions internationales. Un triple A reste un gage de sérieux budgétaire. Sa perte envoie un signal.

Quand on sait l’importance du refinancement au Etats-Unis cette année, avec plus d’un tiers de la dette américaine à refinancer sur les marchés dans les 10 prochains mois, on imagine la crispation à la Maison Blanche qui a fait de la baisse des taux longs un objectif.

Scott Bessent, secrétaire au Trésor américain, a tenté de relativiser l’abaissement de la note en le qualifiant d’ “indicateur retardé”, imputant cette décision aux dépenses engagées sous l’administration Biden.

De son côté, l’administration Trump ne semble pas faire de la réduction de la dette une priorité. Un projet de baisse d’impôts, hérité du premier mandat de Donald Trump, est actuellement débattu au Congrès. Selon Moody’s, son adoption creuserait le déficit de 4 000 milliards de dollars sur les dix prochaines années.

Concernant les entreprises, leur marché de la dette ne devrait pas être affectée

Les derniers irréprochables

Dans un monde où l’endettement devient la norme, ils ne sont plus qu’une poignée à conserver le sacré ‘triple A’ auprès des agences S&P et Moody’s. Ils étaient 20 il y a deux décennies ; ils ne sont plus que dix à cocher toutes les cases :

  • Australie, Canada, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg, Suède, Norvège, Singapour, Suisse.

Ajoutons le Liechtenstein, non noté par Moody’s mais triple A pour S&P.  À noter : S&P ne partage pas l’avis de Moody’s sur la Nouvelle-Zélande, qu’il évalue un cran en dessous, à "AA+".

Depuis 2012, trois pays ont été déchus en plus des Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et Hong-Kong. 

Souvent perçues comme technocratiques, les décisions des agences de notation sont pourtant riches d’enseignements. Elles racontent, en creux, l’état d’un pays, sa trajectoire et la confiance qu’on peut lui accorder. En perdant son triple A, l’Amérique ne perd pas seulement un symbole. Elle perd un repère.

(ici, un article sur la réaction du dollar)