Quelques mots de théorie pour débuter. La transparence en matière de rémunération des mandataires sociaux de sociétés cotées n'est pas une pratique très ancienne. En France, elle est codifiée depuis une vingtaine d'années. S'il fallait retenir deux grandes dates, ce serait 2001, lorsque la loi a rendu obligatoire la publication de données sur la rémunération des dirigeants dans le rapport annuel, et 2005, quand le législateur a imposé des éléments détaillés sur les rémunérations fixes et variables et les conditions de cessation de mandat ou de départ à la retraite. Outre la loi, les sociétés s'astreignent (généralement) à respecter le code Afep Medef de gouvernement d'entreprise, qui définit précisément les informations à publier. Chaque année depuis 2003, l'AMF publie un "Rapport sur le gouvernement d'entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées", qui dresse un bilan des pratiques.

Puisque c'est d'actualité, nous allons utiliser pour notre démonstration le patron de Kering, François-Henri Pinault, sans son consentement. Hier, l'AFP révélait que le dirigeant "a touché un total de 21,8 millions d'euros au titre de l'exercice 2018, contre 2,7 millions l'année précédente, en raison du déblocage d'une rémunération de long terme basée sur la performance financière". L'Agence n'a pas eu besoin de se procurer le bulletin de salaire de décembre de "FHP" : l'information est en libre accès. 

1) Trouver la source de l'information

Chaque année, les sociétés publient un document de référence qui contient toutes les informations sur l'exercice écoulé : comptes, stratégie, politique RSE, contentieux en course, rémunérations… etc. Ces épais rapports sont une mine d'informations sur une entreprise. Et si les versions numériques ont remplacé les versions papiers, il reste possible de commander un tirage auprès de la société. La parution du document doit être annoncée par les circuits habituels de publication (comme un communiqué de presse, dans l'exemple qui nous intéresse). Il est alors disponible sur le site institutionnel de la société et sur celui de l'AMF. Concernant Kering, une simple recherche sur votre moteur de recherche préféré permet d'accéder à un gros document PDF de 420 pages, dont le chapitre 4 traite du gouvernement d'entreprise, et la sous-partie 4 de la rémunération des mandataires sociaux (pages 188 à 208).

2) Comprendre les informations

La présentation des données peut varier d'une société à l'autre, mais la trame est commune. On retrouve généralement un tableau récapitulatif des rémunérations, qui comprend la part fixe, la part variable et les autres avantages éventuels, ainsi que les rémunérations sur une ou plusieurs années antérieures. Figurent également dans cette partie les explications sur le niveau de la rémunération variable annuelle et pluriannuelle, et la mention des objectifs que le dirigeant a dû atteindre pour les toucher.

Arrêtons-nous sur la page 189 reproduite ci-dessous. On y retrouve le tableau récapitulatif des rémunérations de François-Henri Pinault, PDG. C'est sur cette page que figure le montant proche de 22 millions d'euros cité dans la presse, qui comprend 3,227 millions d'euros de fixe et de variable au titre de l'exercice 2018, plus 18,63 millions d'euros obtenus via la rémunération variable pluriannuelle (cliquer pour agrandir).


Page 201, on retrouve le détail des KMU reçus et les conditions d'attribution (le détail est disponible page 196). Nous l'avons vu, le "KMU", qui est l'étalon maison de Kering, voit sa valeur s'envoler depuis 2016, puisqu'il réplique à la fois la performance boursière de Kering et sa surperformance par rapport à la concurrence (un panier de sept valeurs du luxe). Comme le titre a fait encore mieux qu'un secteur du luxe qui a eu le vent en poupe, le KMU a pris la pente ascendante. La période d’acquisition définitive des KMU est fixée à 3 ans à compter du 1er janvier de l’année d’attribution. Elle ouvre une période de monétisation de 2 ans à l’occasion de laquelle les bénéficiaires peuvent percevoir la contrepartie en numéraire de leurs KMU sur la base de la dernière valeur déterminée. (cliquer pour agrandir)

Le rapport mentionne aussi les éléments quantitatifs et qualitatifs de la rémunération variable du PDG. 2018 fut une très bonne année avec des objectifs largement dépassés (cliquer pour agrandir) : 

3) Trouver de l'information supplémentaire

Le cas échéant, les PDG bénéficient aussi d'autres avantages. François-Henri Pinault dispose d'un véhicule de fonction, nous l'avons vu. En revanche, "il n’existe pas de régime de retraite supplémentaire à prestations définies pour les dirigeants mandataires sociaux", précise le document de référence de Kering, tandis qu'aucune indemnité n'est prévue en cas de cessation de fonctions pour le PDG ou le directeur général délégué dans le cadre de leurs mandats. Il n'a pas non plus de logement de fonction. Son directeur général délégué, en revanche, bénéficie pour lui et sa famille d'une allocation de résidence à Londres (900 000 GBP en 2018), classée en avantage en nature.

4) Bio en bonus

Les membres des conseils d'administration bénéficient tous d'une biographie dans le document de référence d'une société. Elle fournit souvent beaucoup d'informations : ancienneté dans l'entreprise, mandats en cours ou échus dans d'autres sociétés et même l'assiduité aux différentes réunions. Celle de François-Henri Pinault ressemble à cela :