par Tarek Amara et Angus McDowall

TUNIS, 26 juillet (Reuters) - Le président tunisien Kaïs Saïed a congédié dimanche le gouvernement et gelé pour 30 jours les activités du Parlement, provoquant des rassemblements de joie dans la capitale Tunis, alors que l'opposition a qualifié de coup d'Etat cette décision qui amplifie grandement la crise politique dans le pays.

Plus tôt dans la journée, des manifestations s'étaient déroulées dans plusieurs villes pour demander la démission du gouvernement, les contestataires ciblant particulièrement le parti islamiste modéré Ennahda.

Kaïs Saïed a indiqué qu'il exercerait le pouvoir exécutif avec l'aide d'un nouveau Premier ministre, alors que la Constitution de 2014 prévoit une répartition des pouvoirs entre le chef de l'Etat, le chef du gouvernement et le Parlement.

Après cette annonce, des foules de Tunisiens sont descendues dans les rues de la capitale pour exprimer leur joie, en chantant et au son des klaxons, rappelant des scènes aperçues lors de la révolution de 2011 qui a provoqué une réforme démocratique dans le pays et un mouvement de contestation dans d'autres pays arabes.

Il est toutefois difficile de déterminer, dans l'immédiat, l'étendue du soutien dont dispose Kaïs Saïed après ces mesures prises contre un gouvernement fragile et un Parlement divisé. Le chef de l'Etat a prévenu contre toute réponse violente, alors que des témoins ont rapporté par la suite que l'armée avait été déployée pour protéger l'enceinte du Parlement.

"Je préviens quiconque pensant recourir aux armes (...) et quiconque tirera un coup de feu, les forces armées répondront avec des balles", A dit le chef de l'Etat dans un communiqué relayé par la télévision publique.

Avant même que la crise sanitaire du coronavirus ne plombe l'économie du pays, les Tunisiens étaient déjà en colère contre la classe et le système politiques, dénonçant des années de paralysie, la corruption, le déclin des services publics et la hausse du chômage.

"C'est le moment le plus joyeux depuis la révolution", a déclaré Lamia Meftahi, venue fêter dans le centre de Tunis l'annonce du président Saïed. "Nous sommes débarrassés d'eux", a-t-elle ajouté à propos du gouvernement et du Parlement, où le parti Ennahda est la plus importante force politique.

Banni avant la révolution de 2011, Ennahda n'a cessé de prendre de l'ampleur depuis lors, s'affirmant comme un membre incontournable des différentes coalitions gouvernementales.

Son chef de file, Rached Ghannouchi, qui est aussi le "speaker" du Parlement, a dénoncé immédiatement la décision de Kaïs Saïed comme un "putsch contre la révolution et la Constitution".

"Nous considérons que les institutions tiennent toujours, et les partisans d'Ennahda et le peuple tunisien vont défendre la révolution", a-t-il dit par téléphone à Reuters, laissant entrevoir une possible confrontation avec les partisans du chef de l'Etat.

Dans son communiqué, Kaïs Saïed, un indépendant non soutenu par un parti précis, a assuré que les mesures qu'il prenait étaient conformes à la Constitution.

"Nombreux sont ceux qui ont été trompés par l'hypocrisie, la trahison et le vol des droits de la population", a-t-il dit.

Le président et le Parlement ont été élus à l'issue de scrutins distincts en 2019, tandis que Hichem Mechichi avait pris la tête du gouvernement l'été dernier. (Reportage Tarek Amara et Ahmed Tolba; version française Jean Terzian)