Ankara (awp/afp) - La Banque centrale de Turquie a annoncé mercredi le relèvement de l'un de ses principaux taux directeurs à 16,5% afin de soutenir la livre turque, qui battait des records à la baisse ces derniers jours, à un mois des élections anticipées en juin.

Après une réunion convoquée en urgence après que la livre a perdu plus de 3,5% de sa valeur face au dollar, la Banque centrale (CBRT) a décidé de relever son taux de refinancement au jour le jour de 13,5 à 16,5%, permettant dans la foulée une remontée de 2,1% de la devise turque.

Après avoir battu un nouveau record mercredi, tombant jusqu'à 4,9 contre un dollar, la livre s'échangeait ainsi dans la soirée à 4,6 TRY contre un dollar. En un an, la monnaie turque a perdu près de 30% de sa valeur face au billet vert.

La chute de la livre turque face au dollar s'était accélérée mercredi, au pire moment pour le président Recep Tayyip Erdogan en pleine campagne pour les élections de juin, au cours desquelles la dégradation de l'économie risque de peser sur le choix des électeurs.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2003, les succès économiques de M. Erdogan ont toujours été l'un des piliers de sa popularité, mais il aborde le scrutin anticipé du 24 juin avec une inflation de plus de 10% tandis que la monnaie nationale bat quasi-quotidiennement des records à la baisse.

Les économistes réclamaient depuis des mois une hausse des taux d'intérêt, mais le président Erdogan s'opposait fermement à cette idée et avait laissé entendre la semaine dernière qu'il souhaitait peser davantage sur la politique monétaire s'il était réélu.

"La décision (de la CBRT) apaisera les inquiétudes des investisseurs selon lesquels la Banque centrale ne souhaite pas ou est incapable de procéder à un resserrement monétaire en amont des élections prévues en juin", a réagi dans une note Capital Economics.

Mais si cette décision "a fourni un certain soutien à la devise, les investisseurs vont probablement attendre des signes montrant que ceci représente un changement de politique plus fondamental", poursuit la note.

Outre l'effondrement de la livre, les économistes mettent en garde depuis plusieurs mois contre un risque de surchauffe de l'économie en raison d'une inflation galopante et d'un large déficit des comptes courants en dépit d'une croissance robuste.

- "Spectre d'une défaite" -

De nombreux analystes estiment que c'est la crainte d'une crise économique dans les prochains mois qui a poussé M. Erdogan à avancer la date des élections présidentielle et législatives initialement prévues pour novembre 2019. Or la crise semble déjà pointer son nez avant le scrutin anticipé et risque d'influer sur le vote.

Selon deux récents sondages des instituts MAK et Gezici, plus de 40% des Turcs jugent que l'économie est le principal problème de leur pays.

"Pour les Turcs, une monnaie faible signifie une économie faible", explique à l'AFP Atilla Yesilada, un spécialiste de la Turquie chez Global Source Partners à Istanbul.

Selon lui, "si le choc des taux de change se traduit par une performance économique plus faible, (...) le spectre d'une défaite de l'AKP (le Parti de la Justice et du Développement, au pouvoir) peut devenir une réalité". Et ce même si la base électorale de M. Erdogan et de l'AKP est "plutôt loyale".

"Globalement, il a été démontré que les performances économiques ont un impact immédiat sur le comportement électoral. Donc les coûts économiques considérables peuvent avoir un impact", déclare prudemment à l'AFP Selva Demiralp, une professeure d'économie à l'Université Koç d'Istanbul.

Dans une tentative de soutenir la devise turque, la Bourse d'Istanbul a annoncé mercredi matin avoir converti l'ensemble de ses réserves de change en livres, sauf ses besoins à court terme.

Pour les analystes de Commerzbank, "l'évolution exponentielle du taux de change de la livre turque est un symptôme évident d'une crise monétaire".

- "Complot" -

Incapables d'enrayer la chute de la livre, des responsables évoquent un "complot" ourdi contre l'économie turque.

"S'il y en a qui pensent pouvoir influer sur les résultats des élections en jouant avec le dollar, ils se trompent", a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement Bekir Bozdag.

"Le gouverneur de la Banque centrale et les membres du comité de politique monétaire ont tout mon soutien pour faire le nécessaire pour enrayer le déclin de la livre et atteindre la stabilité des prix", a tweeté pour sa part le vice-Premier ministre Mehmet Simsek, considéré comme le "Monsieur économie" du gouvernement turc, peu après l'annonce de la réunion extraordinaire de la CBRT.

"Aucun des problèmes macroéconomiques de la Turquie n'est insurmontable", a-t-il ajouté.

afp/rp