Ankara (awp/afp) - Après des années d'inflation élevée et d'instabilité monétaire, la Turquie semblait entrevoir le bout du tunnel. Puis l'épidémie de nouveau coronavirus a frappé, menaçant de faire rechuter une économie aux défenses fragilisées.

Avant la pandémie de Covid-19, qui a fait près de 11.000 malades et 168 morts en Turquie selon le dernier bilan officiel, le gouvernement tablait sur une croissance du produit intérieur brut de 5% cette année.

Mais cet objectif semble désormais hors d'atteinte et le président Recep Tayyip Erdogan a été contraint de mettre sur pied un plan de relance en urgence pour sauver les meubles.

Mi-mars, il a annoncé le déblocage de 14 milliards d'euros pour soutenir l'économie, sous forme notamment de réductions d'impôts pour les entreprises et de coups de pouce pour les ménages les plus modestes.

Si ces mesures ont été favorablement accueillies par les entreprises, des analystes préviennent qu'une hausse significative du chômage et une baisse de la croissance sont inéluctables.

L'épidémie a frappé à un moment délicat pour la Turquie: après une année 2018 difficile, avec notamment un effondrement de la livre turque et une inflation à deux chiffres, l'économie commençait à reprendre des couleurs.

L'agence de notation financière Moody's estime que parmi les pays du G20, la Turquie "sera le plus durement touché, avec une contraction cumulée de 7% de son PIB aux deuxième et troisième trimestres" 2020.

L'un des secteurs les plus exposés est celui du tourisme, une industrie cruciale pour l'économie turque qui emploie des centaines de milliers de personnes, souligne Moody's.

L'an dernier, les revenus liés au tourisme ont augmenté de 17% pour dépasser 31 milliards d'euros, avec près de 52 millions de visiteurs (+13,7%).

Chômage

Sur un marché à Ankara, l'inquiétude est palpable.

Mehmet Arslan, un marchand de fruits et légumes, indique que la situation est "difficile" depuis la mise en place il y a deux semaines d'un confinement total pour les personnes âgées de plus de 65 ans, une mesure qui a dépeuplé les marchés.

"Si on ne peut plus travailler, comment peut-on vivre ?", se lamente M. Arslan, 35 ans. D'autres marchands font état d'une baisse de trois-quarts de leurs ventes depuis le début de l'épidémie.

Un sujet majeur de préoccupation est celui du chômage. En 2019, 13,7% des Turcs étaient sans emploi, un chiffre en hausse par rapport à 2018 (11%).

Et l'épidémie a rendu la recherche d'emploi encore plus difficile, souligne Bilge Ceyhan, 44 ans. Elle vivote grâce à ses économies, mais celles-ci s'épuisent.

"Comment suis-je censée poursuivre mes recherches ? Dans quel état sera le marché de l'emploi après (l'épidémie) ?", demande-t-elle.

La semaine dernière, M. Erdogan a annoncé un soutien supplémentaire de près d'un milliard d'euros pour les personnes touchant le salaire minimum.

Un chèque de 1.000 livres turques (140 euros) sera par ailleurs envoyé à deux millions de ménages modestes afin de soutenir la consommation.

Moyens limités

Mais les moyens du gouvernement sont limités: comme il a "abondamment" dépensé pour soutenir la livre turque l'an dernier, il "n'a plus de liquide", souligne Atilla Yesilada, un économiste au centre de réflexion GlobalSource.

Pour lui, Ankara n'aura d'autre choix que de faire marcher la planche à billets, ce qui aura pour conséquence d'alimenter l'inflation. Le mois dernier, l'inflation en glissement annuel était de 12,37%.

D'autres analystes indiquent que la Turquie pourrait faire appel au Fonds monétaire international (FMI). Mais le président Erdogan, pour qui c'est une question de souveraineté, a toujours rejeté cette option.

Cagatay Ozdogru, PDG de la firme Esas Holding, voit la situation avec plus d'optimisme: la Turquie est mieux armée que d'autres pays et dispose de plusieurs "atouts", notamment une demande intérieure forte, dit-il à l'AFP.

Il s'attend à une baisse de la croissance suivie d'un rebond, soulignant toutefois que la Turquie dépendait en partie d'une amélioration de la situation économique dans les pays occidentaux, comme l'Allemagne.

"C'est une (situation) inédite", remarque M. Yesilada, l'économiste. "Tout le monde fait des erreurs et 90% des mesures prises par (Ankara) proviennent du même répertoire dans lequel puisent les autres pays. Mais il faut faire plus."

afp/al