MOSCOU/KIEV/DONETSK (Reuters) - Les séparatistes pro-russes de l'est de l'Ukraine ont entrepris vendredi d'évacuer vers la Russie les civils des régions sécessionnistes qu'ils dirigent, alors que les bombardements s'intensifient dans la région pour le deuxième jour consécutif, faisant craindre aux Occidentaux que la Russie y trouve un prétexte pour envahir son voisin.

"A partir d'aujourd'hui, 18 février, une évacuation centralisée de masse des populations vers la Russie a été organisée", a annoncé sur les réseaux sociaux Denis Pouchiline, dirigeant de la "république populaire" autoproclamée de Donetsk, en précisant que la priorité serait accordée aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées.

Les séparatistes pro-russes de Donetsk prévoient d'évacuer environ 700.000 personnes.

Quelques heures plus tard, alors que des sirènes d'alerte retentissaient dans la ville, des familles ont commencé à se rassembler à un point d'évacuation pour monter à bord d'autocars en direction de la Russie.

D'après les agences de presse russes, le président Vladimir Poutine a enjoint à son ministère des Situations d'urgence d'organiser l'accueil dans le sud-ouest de la Russie de ces personnes évacuées.

La plupart des habitants des régions ukrainiennes de Donetsk et Louhansk, tenues par les séparatistes, sont russophones et Moscou a déjà accordé la nationalité russe à nombre d'entre eux.

Cette annonce d'évacuation est intervenue alors que sur le terrain, les forces ukrainiennes et les séparatistes pro-russes, qui s'accusent mutuellement d'infractions au cessez-le-feu, ont fait état chacun de leur côté d'une considérable intensification des bombardements, même si aucun décès n'a été signalé pour l'instant.

Selon une source diplomatique ayant suivi de près le conflit dans le Donbass pendant des années, les bombardements des deux derniers jours dans l'est de l'Ukraine figurent parmi les plus intenses sur la ligne de front depuis le cessez-le-feu prévu dans les accords de Minsk de 2015, qui n'a pas empêché la survenue d'accrochages quasi quotidiens dans la région.

KIEV DÉNONCE DES PROVOCATIONS RUSSES

Les autorités séparatistes pro-russes de l'est de l'Ukraine ont aussi fait état de l'explosion d'une voiture piégée près d'un bâtiment officiel dans le centre de Donetsk. Aucune victime n'a été signalée.

Les autorités ukrainiennes assurent n'envisager aucune opération offensive et accusent la Russie de créer des incidents et de proférer de fausses accusations pour justifier une future invasion. Elles ont appelé la communauté internationale à condamner ce qu'elles qualifient de provocations russes.

Moscou continue pour sa part de démentir toute intention belliqueuse à l'égard de l'Ukraine et a fait savoir vendredi qu'une unité de chars et deux unités d'infanterie mécanisée étaient en route vers leurs bases respectives dans le sud et le centre de la Russie.

La Russie assure depuis plusieurs jours avoir entamé le retrait des quelque 100.000 soldats qu'elle avait massés aux frontières ukrainiennes mais les pays occidentaux jugent que les mouvements de troupes reflètent à l'inverse une intensification des préparatifs en vue d'une offensive.

"Au contraire, nous voyons des déploiements supplémentaires de troupes vers la frontière (russo-ukrainienne) y compris des forces de pointe qui seraient impliquées dans toute forme d'agression", a déclaré le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken à la conférence de Munich sur la sécurité.

Selon une nouvelle estimation livrée vendredi par l'ambassadeur américain auprès de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Michael Carpenter, les Etats-Unis évaluent désormais le nombre de soldats déployés par la Russie aux frontières de l'Ukraine entre 169.000 et 190.000, soit près du double des 100.000 hommes recensés fin janvier.

"Il s'agit de la plus importante mobilisation en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale", a affirmé Michael Carpenter.

RÉUNION DE DIRIGEANTS OCCIDENTAUX AUTOUR DE BIDEN

L'armée russe participe aussi à des manoeuvres militaires en Biélorussie, au nord de l'Ukraine. Ces exercices doivent prendre fin dimanche et la Russie a assuré que ses troupes étaient ensuite vouées à repartir.

Avant de s'entretenir avec Vladimir Poutine ce vendredi, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a toutefois laissé entendre que l'armée russe pourrait rester plus longtemps dans son pays. "Les forces armées resteront aussi longtemps que nécessaire", a-t-il dit, cité par l'agence BelTa.

En dépit de ces tensions croissantes, qui portent plus globalement sur des exigences russes en matière de sécurité vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Otan, les tractations diplomatiques se poursuivent.

Le président américain Joe Biden doit présider ce vendredi une réunion téléphonique sur cette crise avec plusieurs autres dirigeants, dont son homologue français Emmanuel Macron.

Les chefs de gouvernement canadien Justin Trudeau, allemand Olaf Scholz, italien Mario Draghi, britannique Boris Johnson et les présidents roumain Klaus Iohannis et polonais Andrzej Duda participeront à cette réunion, de même que le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel, ont fait savoir la Maison blanche et l'Elysée.

Joe Biden s'exprimera à la suite de cette réunion.

Les pays occidentaux ont déjà prévenu la Russie qu'elle s'exposerait à des sanctions sans précédent, notamment sur le plan économique, en cas d'invasion de l'Ukraine.

Antony Blinken a accepté une invitation du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov pour une rencontre en fin de semaine prochaine.

L'ambassadeur de Russie au Royaume-Uni a déclaré que cette future rencontre pourrait se tenir en Finlande ou à Genève, en Suisse, d'après l'agence de presse russe Interfax.

(Reportage par les bureaux de Reuters, rédigé par Peter Graff ; version française Matthieu Protard, Myriam Rivet et Bertrand Boucey, édité par Blandine Hénault, Jean-Michel Bélot et Jean-Stéphane Brosse)

par Anton Zverev, Pavel Polityuk et Polina Nikolskaya