par Aziz El Yaakoubi et Hadeel Al Sayegh

DUBAI/DOHA, 5 juin (Reuters) - Le Qatar a accusé mardi l'Arabie saoudite de "comportement irréfléchi" qui contribue à détruire l'unité pro-occidentale entre les pays du Golfe après la récente menace saoudienne d'une action militaire contre l'émirat qatari.

Cette prise de position intervient un an après la décision des autorités de Ryad, soutenues par les Emirats arabes unis et Bahreïn, mais également par l'Egypte, d'imposer un embargo économique et diplomatique contre le Qatar.

Les dirigeants saoudiens reprochent à leurs voisins une ligne diplomatique trop proche de celle de l'Iran, le grand rival régional du royaume wahhabite, et les accusent de soutenir le terrorisme.

Les Qataris étaient priés de rentrer dans le giron saoudien qui entend régner sur le Golfe.

Le Monde révélait samedi que le roi Salman avait adressé une lettre au président français Emmanuel Macron pour qu'il fasse pression sur Doha afin de dissuader les Qataris de se doter de systèmes de défense antiaérien russes S-400. Le souverain accompagnait sa demande de la menace d'une intervention militaire au Qatar.

"Il n'y a pas de menace militaire grave dans cette lettre mais la manière dont elle est utilisée pour justifier ou créer une perturbation dans la région est simplement inacceptable", a commenté cheikh Mohammed bin Abdoulrahman al Thani, le ministre qatari des Affaires étrangères, sur la chaîne Al Djazira.

"Ne sont-ils pas au courant que la région a perdu le Conseil de coopération du Golfe (CCG), le dernier bloc uni dans la région arabe", a-t-il ajouté dans un commentaire sur Twitter.

Les autorités qataries tentent d'obtenir de la France la confirmation de l'envoi de cette lettre, a précisé le ministre dans un entretien diffusé mardi.

Il a rappelé que le Qatar disposait du droit souverain de décider de ses achats d'armements.

Un diplomate européen a confirmé que la lettre avait été envoyée en France mais également aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

RYAD A TIRÉ TOUTES SES CARTOUCHES

Un responsable qatari a confirmé que des discussions étaient en cours pour l'achat de systèmes antimissiles russes S-400.

Un porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères a indiqué sur Twitter que des discussions étaient menées pour la tenue en septembre à Washington d'un sommet sur le contentieux entre les pays arabes du Golfe.

Abou Dhabi et Ryad soutiennent que cette question n'est pas prioritaire et qu'elle peut être résolue au sein du Conseil de coopération du Golfe.

Selon des diplomates occidentaux, aucun des deux camps n'entend se soumettre alors que le conflit entre dans sa deuxième année. "On considère la situation comme sans espoir et une nouvelle ère a débuté dans la région dont chacun doit s'acccommoder", a expliqué un diplomate occidental.

Les analystes notent que l'initiative saoudienne n'a pas provoqué l'isolement du Qatar qui a renforcé ses investissements et ses liens dans le secteur de l'énergie avec les Etats-Unis, la Turquie, la Russie et la Chine.

En revanche, cela a provoqué une rupture au sein du CCG. "Les relations de confiance ont été mises en pièces des deux côtés alors que les positions se sont durcies et que l'idée d'un 'jeu à somme nulle' s'est enracinée", écrit Kristian Coates Ulrichsen du Baker Institute à l'Université Rice du Texas.

"Les dirigeants du Koweït et d'Oman observent cela avec le sentiment inconfortable qu'ils peuvent devenir vulnérables face aux pressions régionales saoudiennes et émiraties lorsqu'ils vont devoir gérer une transition de gouvernement", ajoute-t-il.

Le Koweït et Oman sont dirigés par des souverains âgés et devraient entrer prochainement dans une période de transition favorable aux ambitions de leurs voisins.

L'économie du Qatar, premier exportateur mondial de gaz liquéfié, a surmonté l'embargo saoudien et, selon les diplomates, Doha n'a aucune raison de se soumettre aux exigences de son voisin, d'autant que l'émir a renforcé sa position sur le plan intérieur.

"Nous ne nous attendons pas à de nouvelles mesures de l'Arabie saoudite ou des EAU contre le Qatar car ils ont tiré toutes leurs cartouches. Cette crise est désormais seulement une guerre médiatique", a noté un autre diplomate occidental.

(Pierre Sérisier pour le service français)