Pour comprendre la situation, faisons d’abord un tour d’horizon des importations de gaz en Europe. En 2018, selon le Parlement européen, 47% du gaz consommé en Europe provenait de Russie, 34% de Norvège à 34%, 8,6% de l'Algérie et de la Libye, puis d’autres fournisseurs mineurs comme le Nigeria et les Etats-Unis pour le reste. 

La grande majorité de ce gaz nous est parvenu par gazoduc (89%) : 50% du gazoduc Brotherhood et la route des Balkans, 30% par Nord Stream 1 et 20% par voie biélorusse (gazoduc Yamal). Le reste par bateau, sous forme de GNL (Gaz Naturel Liquéfié). 

En 2019, sous la menace des sanctions américaines à l’endroit des importations venant de Russie, la tendance s’était déjà inversée. Selon une étude de BP, reprise par GRDF, 43% du gaz européen provenait alors des exploitations norvégiennes en Mer du Nord. Une hausse significative qui s’explique par la baisse des importations russes (21%) et algériennes (11%). Les Pays-Bas ont également fourni 10% de la consommation gazière européenne (la leur incluse), issus de la province de Groningue (le plus grand gisement de gaz naturel d'Europe occidentale). 

La source azérie

Achevé en octobre 2020, et mis en service un mois plus tard, le projet TAP (pour Trans-Adriatic Pipeline) devrait fournir au Vieux Continent, dès ses débuts, 2% de sa consommation gazière (Royaume-Uni compris). 

Ce gazoduc de 878 km parvient en Europe par les Pouilles, au sud-est de l’Italie (elle-même reliée au reste de l’Europe), traverse la mer adriatique et l’Albanie, pour prendre sa source à la frontière gréco-turque. C’est là qu’il rejoint le corridor gazier d’Asie centrale par le gazoduc trans-anatolien, qui traverse la Turquie sur 1850 km, puis le gazoduc du sud Caucase, qui relie la Turquie à l'Azerbaïdjan en passant par la Géorgie (682 km). 

Le TAP, qui exploite le gisement azerbaidjanais Shah Deniz en Mer Caspienne, sera en mesure d’acheminer en Europe un flux de 10 milliards de m3 de gaz par an dans un premier temps. A termes, il est prévu pour accueillir un débit 2 fois supérieur. 

D’un coût de 3,9 milliards d'euros (4,8 milliards de dollars), il a été financé principalement par le britannique BP, la compagnie pétrolière nationale azerbaïdjanaise SOCAR, l'Italien Snam, le belge Fluxys, l'espagnol Enagas,ainsi que par un consortium de banques européennes et asiatiques. 

Si seul l'Azerbaïdjan contribue pour l’instant à la fourniture, d’autres pays d'Asie centrale riches en réservoirs gaziers (le Turkménistan, le Kazakhstan et l'Ouzbékistan) pourraient à termes faire partie des fournisseurs, mais les litiges en mer Caspienne entravent ces discussions depuis plusieurs années.

Parmi les autres projets évoqués, celui de relier au TAP aux Balkans occidentaux, pour alimenter la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie. 

Pierre angulaire des projets d’infrastructures essentiels censés assurer la sécurité énergétique européenne, ce gazoduc offre, en contournant habilement la Russie, une source alternative de gaz et réduit la dépendance européenne au gaz russe. 

Le Nord Stream 2 

C’est le projet qui cristallise les tensions entre les Etats-Unis, la Russie et l'Europe depuis plusieurs années. Au terme de nombreux rebondissements, ce gazoduc, qui relie la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique, devrait être achevé en 2021. 

Encore récemment menacé de sanction par le gouvernement américain, et décrié par la Pologne, l’Ukraine et les Pays baltes (qui y voient une nouvelle mainmise politique de la Russie sur le Vieux Continent), le chantier du Nord Stream 2 a repris en décembre de cette année. 

Initialement prévue pour début 2020, la mise en service a été notamment perturbée par un arrêt total du chantier pendant plus d’un an, et retardée, dans une moindre mesure, par l’obtention des droits de traverser les espaces maritimes des pays du nord de l’Europe. Aujourd’hui, seuls 6% du gazoduc restent à achever : 120 km dans les eaux danoises et 30 km en eaux allemandes.

D’un coût de 9 milliards d'euros, le projet est financé pour moitié par le russe Gazprom, et pour moitié par cinq sociétés européennes : le français Engie, les allemands Uniper et Wintershall Dea, l'autrichien OMV et l'anglo-néerlandais Shell.

Créé pour compléter son frère aîné Nord Stream 1, il aura une capacité d’approvisionnement bien supérieure au gazoduc trans-adriatique. Il devrait acheminer 55 milliards de m3 par an, soit au moins 11% des besoins européens, sur la base de la consommation du continent en 2018. 

 

Enfin entériné par les parties prenantes, ce gazoduc devrait donc, à l’encontre des desiderata européennes et américaines, conforter le rôle capital de la Russie dans la fourniture gazière de l’Europe, et laisser s’éloigner, tant que les énergies renouvelables n’auront pas pris le pas sur les fossiles, les ambitions européennes d’indépendance énergétique.