"Quel regard portez-vous sur l’évolution des marchés financiers depuis le début de l’année ?
Nous pouvons distinguer deux grandes phases sur les marchés depuis janvier. La première va de la mi-février à la mi-mars. Elle correspond à une forte baisse de la valorisation des actifs financiers consécutivement à des ventes massives dues aux craintes liées à la pandémie.
La seconde phase qui va de la mi-mars à fin avril a donné lieu à un rebond significatif des marchés en réponse à l’arsenal des décisions adoptées par les autorités monétaires et budgétaires.

Peut-on parler de panique à l’occasion de la première phase ?
Pas vraiment.
Le marché a réagi par anticipation. Il est apparu très tôt que les mesures arrêtées pour tenter d’endiguer la propagation du virus, en premier lieu le confinement instauré un peu partout dans le monde, étaient de nature à conduire à une sévère récession en 2020, estimée à environ 10% dans plusieurs pays influents, dont pouvait résulter une chute des bénéfices des entreprises de l’ordre de 30% à 40%.
De ce fait, l’ajustement observé sur les marchés a été en ligne avec le violent choc subi.

Quel regard portez-vous sur le fort rebond qui s’est dessiné de la mi-mars à fin avril ?

Ce rebond est une réaction à l’arsenal des décisions prises par les Banques centrales et les gouvernements pour tenter d’amortir l’effondrement de la croissance économique.
Le marché a alors pricé, à la suite des pertes et profits enregistrables au premier et deuxième trimestre de cette année, une nouvelle dynamique non négligeable sur le front macro et microéconomique.

Etes-vous en accord avec la vision optimiste des marchés ?
Elle constitue à ce jour notre scénario central.

Quelle suite des évènements envisager à présent ?
Nous pouvons considérer que le news flow positif émanant des politiques monétaires et budgétaires est derrière nous. Dès lors, nous pourrions nous retrouver à très court terme avec des marchés qui ont moins de tendance claire du fait d’une absence de visibilité sur l’avenir proche.

Qu’est ce qui pourrait changer la donne ?
La confirmation d’un rebond économique qui aurait effectivement des répercussions propices sur les bénéfices futurs des entreprises.
Pour l’heure, il est difficile d’affirmer une hypothèse concernant le développement de la crise que nous vivons. Celle-ci est sans précédent. Nous n’avons pas de comparaison historique. C’est ce qui explique d’ailleurs un écart inédit dans les prévisions affichées. Alors que certains se montrent très pessimistes, d’autres se veulent plus constructifs.

A ce sujet, des analystes avancent une hausse des profits de plus de 25% pour 2021, notamment en Europe. Qu’en pensez-vous ?
Si nous avons un repli des bénéfices d’environ 30% cette année, il n’est pas impensable d’observer un rattrapage de la même ampleur compte tenu des mesures de relance adoptées et de leur impact sur la croissance économique.
En conséquence, établir une prévision de hausse des profits de 25% l’année prochaine, en ligne avec une progression de PIB de plus de 5%, équivaudrait seulement à une sorte de retour à la normal. Cela n’est donc pas aberrant comme ordre de grandeur.

Peut-on à ce stade présager quel pourrait être le comportement des marchés au cours de la seconde partie de l’année ? D’aucuns annoncent un rallye potentiel de 10% à 20% sur la Bourse, des deux côtés de l’Atlantique ?

A court terme, du fait de la persistance de la propagation du virus, et des mauvais chiffres à paraitre sur le plan macro et microéconomique, les marchés devraient demeurer très nerveux et les valorisations devraient fluctuer dans une certaine fourchette pour le CAC par exemple on peut penser que l’indice restera entre 4250 et 4750 jusqu’à cet été.
A moyen terme cependant, d’ici six à douze mois, si les données valident la présomption d’un raffermissement macroéconomique, par anticipation, les Bourses pourraient effectivement enregistrer une hausse supplémentaire de l’ordre de 10%.

Quelle allocation d’actifs proposer dans ce contexte ?
Nous restons plutôt à l’écart des emprunts d’Etat. Les Banques centrales ayant vocation à rester à la manœuvre, les taux d’intérêt des Etats devraient continuer à être très bas à court terme.
Ce n’est qu’à moyen terme, que ces dernières pourraient relever le pied de l’accélérateur.

Quid des emprunts émis par les Etats périphériques à la zone euro comme l’Italie ?
Je pense qu’un positionnement sur ces actifs financiers est pertinent. Il parait évident que la BCE ne laissera pas tomber l’Italie et qu’en cela une exposition aux BTP est présentement très rémunératrice.

Il y a un appétit à afficher pour le crédit ?
Effectivement, en particulier le crédit européen. Les taux d’intérêt ont bien monté et la volatilité a beaucoup baissé. Nous sommes plus constructifs sur les obligations d’entreprises bien notées (Investment grade). La BCE est très acheteuse dans ce segment. Le rapport rendement/risque est alors favorable.
Une vigilance est de rigueur sur le segment des obligations d’entreprises risquées (le High Yield). Une plus grande sélectivité est requise. Une vague de révision à la baisse des notations est à prévoir. De même, de multiples défauts sont attendus. Par ailleurs, la BCE n’est pas encore présente dans le compartiment même si cela pourrait changer… Elle constitue un moindre support.

Quel niveau de rendement pourrait être délivré par l’IG ou le HY européen dans les mois à venir ?
Le niveau devrait rester faible car le portage est limité, sur l’IG nous attendons une performance de l’ordre de 0,2% sur trois mois et le double sur le crossover.

Qu’en est-il du crédit US et de la dette émergente ?
Nous sommes sous pondérés sur ces segments.
La dette émergente parait trop risquée actuellement. De nombreux pays émergents sont sous pression du fait du fort ralentissement de l’économie mondiale, de la fuite des capitaux, du vif repli des cours du pétrole…

Quid des actions ?
Nous sommes plutôt prudents sur les marchés actions à court terme. Notre allocation est neutre à trois mois. Sur un plan géographique, nous sommes davantage orientés sur l’Europe que sur les Etats-Unis, car les valorisations sont moins tendues.
Nous sommes plus constructif pour la fin de l’année.

Quel regard portez-vous sur les actions émergentes ?
Les actions chinoises représentent un gisement intéressant dès lors que la Chine, entrée dans la crise avant les autres, pourrait bénéficer d’une reprise précoce.

Avez-vous une vision sectorielle ?
Nous n’émettons pas dans le cadre de notre comité d’allocation stratégique de vue sectorielle.

Que pouvez vous nous dire concernant les devises et les matières premières ?
Sur le front des devises, à court terme, le dollar devrait continuer à afficher une certaine résistance malgré la remontée des taux longs américains en raison du positionnement massivement acheteur des investisseurs dans un souci de couverture. A moyen terme, si les chiffres macro et micro économiques s’avèrent effectivement rassurants, la cherté du dollar pourrait entrainer des ventes de la devise.

Dans le secteur pétrolier, le fort déséquilibre entre une offre abondante et une demande qui se tarit a poussé les cours à fortement se replier. Nous ne voyons pas un rebond du cours du baril à court terme. Celui-ci devrait fluctuer autour de 30 dollars.
En revanche, la multiplication des faillites des acteurs pétroliers, notamment aux Etats-Unis devrait conduire à une réduction de la production qui face à la redynamisation de l’économie est de nature à stimuler à nouveau les prix de la matière première, autour de 60 dollars en fin d’année.

Du coté des métaux, une exposition au cuivre peut se révéler pertinente. La moitié du cuivre mondial est consommé par la Chine. Les deux tiers de cette consommation concernent l’immobilier et les infrastructures. Face au plan de relance envisagé par les autorités de Pékin, il semble judicieux de tabler sur une hausse du prix du cuivre dans les mois à venir.

L’or joue pleinement son rôle de valeur refuge. Les marchés monétaires n’étant pas rémunérateurs, le cout d’opportunité de détention de l’or a disparu. La demande pourrait s’amplifier pour cette raison. Nous tablons sur une appréciation du cours de l’once de 5% à trois mois.

Quels principaux risques entrevoir à ce jour ?
Bien évidemment, une deuxième vague de la pandémie qui imposerait un nouveau confinement dans plusieurs grands pays.
Une exacerbation des tensions entre les Etats-Unis et la Chine pourrait également faire peur au marché.

Une interrogation sur la soutenabilité de la dette de certains Etats, comme l’Italie, pourrait-elle être une menace ?
Je ne le crois pas. Une très grande partie de la dette étatique a été monétisée, autrement dit absorbée par les Banques centrales.
Les intérêts payés par les Etats sur leurs emprunts sont rendus par les autorités monétaires lorsqu’elles réinvestissent sur les marchés. En cela, le Japon constitue un cas emblématique. Le pays a un stock de dette colossal qui ne lui coute quasiment rien du fait de l’emprise de sa Banque centrale.

Le marché ne pourrait-il pas challenger les Banques centrales ?

Très probablement. C’est d’ailleurs l’objet de la préoccupation soulevée par la décision de la Cour constitutionnelle allemande sur la capacité de la BCE à agir.

Il me semble toutefois que les craintes à avoir sont limitées. La BCE a trois mois pour justifier sa politique monétaire. Le motif est très facile à fournir.
Par ailleurs, si la Cour constitutionnelle allemande oppose le fait de ne pas être convaincue par le raisonnement de la BCE, cela ne serait pas nécessairement nocif pour la zone euro

La Cour allemande, par nature nationale, ne peut pas donner d’injection à la BCE qui est une institution supranationale. Elle pourrait uniquement influer les agissements de la Banque centrale allemande.
La BCE pourrait le cas échéant poursuivre son programme de quantitative easing sans la participation de la Bundesbank. A défaut de la participation de cette dernière, la BCE pourrait être amenée à élargir son achat de BTP italiens pour compenser l’absence d’achat de Bund allemands. On se retrouverait dans une situation où l’Allemagne serait pénalisée et l’Italie favorisée.
"