Yannick Jadot, pensez-vous qu’il faille promouvoir l'investissement boursier des particuliers ?

YJ : "Nous avons besoin de mobiliser l’épargne privée pour reconstruire et transformer notre économie, particulièrement dans ce contexte post pandémie et pour réussir la transition écologique. Mais chacun doit avoir conscience qu’il s’agit d’un levier qui n’est pas neutre. Je veux encourager tous les particuliers à investir pour la neutralité carbone et le lien social, et davantage dans les PME et les ETI. Nos concitoyens et concitoyennes doivent pouvoir choisir l’économie de demain, l’encourager, activer le levier de l’épargne pour améliorer la société dans laquelle ils vivent. Cela nécessite une plus grande transparence, exigence et crédibilité des labels sur les titres et produits financiers.

L’enjeu, c’est de réorienter les fonds privés vers l’économie vertueuse. Une de mes priorités sur le quinquennat est le renforcement des exigences de labellisation verte et la création d’une labellisation “brune” pour tous les produits financiers défavorables à l’environnement. J'agirai également sur l’épargne elle-même. Dès le début de mon mandat, je rendrai le livret de développement durable et solidaire (LDDS) bien plus attractif et garantirai que 100 % de ses fonds soient fléchés concrètement vers la transition écologique. Il y a un effort de communication et de transparence à faire pour que les particuliers y aient davantage recours."

Comment rediriger la manne financière vers la durabilité au sens large (environnement et social). Comment faire en sorte de créer un réel ruissellement des richesses vers les populations et les services publics ? Qu’il s’agisse d’épargne, de dividende, ou de plus-values.

YJ : "Plutôt que de ruisseler, l’argent s'évapore. La théorie du ruissellement n’a jamais été vérifiée et a même entraîné un effet inverse qui est que le fruit du travail est accaparé par une minorité et ne bénéficie ni aux travailleurs, ni aux services publics qui offrent pourtant l’environnement favorable au développement économique. Bien sûr que les entrepreneurs et les investisseurs doivent être rémunérés pour les risques qu’ils prennent et je sais que beaucoup d’entre eux sont attachés à l’utilité sociale et écologique de leurs projets. Mais il faut arrêter de croire à la magie du marché qui, seul, répartirait équitablement les bénéfices de la production, éviterait tout dommage à l'environnement, préserverait les droits sociaux des travailleurs et préserverait nos filières stratégiques... Sans intervention publique claire et sans règle forte, le partage de la valeur est souvent beaucoup trop défavorable aux travailleurs dans l’entreprise, l'environnement est détruit, les filières stratégiques fragilisées.

Je prône un modèle d’économie régulée, où la libre concurrence et la libre entreprise s’articulent dans un cadre de règles clair. Pour plusieurs dispositifs fiscaux (ISF, IS, TVA, taxe foncière, taxation des dividendes), je souhaite introduire une modulation selon l’impact climatique de l’activité qui génère la rémunération du capital. Moduler la fiscalité permet une double action pour l'environnement : les moyens de l’investissement public et l’orientation des capitaux privés. De la même façon, je porte la proposition d’une “règle d’or” pour les finances publiques : les subventions et la commande publiques seront conditionnées à des exigences sociales et environnementales. L’Etat doit activer tous les leviers en sa possession pour rediriger les capitaux vers ce qui compte vraiment."

Comptez-vous conserver ou modifier la fiscalité liée au PEA ?

YJ : "Je conserve le modèle de fiscalité actuel sur le PEA. Je maintiens le taux des prélèvements sociaux à 17,2 % car je considère que les rentes financière et immobilière doivent contribuer au financement de la Sécurité sociale aujourd’hui malmenée."

Il reste encore en UE des paradis fiscaux, les scandales révélant les évasions massives sont récurrents, que proposez-vous ?

YJ : "L’évasion fiscale coûte au minimum 18 Mds € par an, dont 12 Mds € au titre de l’impôt sur les sociétés, soit 530 000 postes de soignants. Au niveau national, je veux augmenter drastiquement les moyens de l’administration fiscale. Toutefois, lutter efficacement nécessite d’agir à l’échelle européenne. Nous compléterons l’accord international sur la taxation minimale des multinationales par un registre public des trusts, étendrons la liste des paradis fiscaux - elle ne compte aujourd’hui que 13 pays et plusieurs pays impliqués dans les Pandora Papers n’y figurent pas. J’entends tirer toutes les conséquences des scandales récents, en interdisant le prêt d'actifs financiers à but exclusif ou majoritaire d’évasion fiscale qui conduit à une fraude massive à la taxe sur les dividendes. Nous mènerons une action coordonnée pour une fiscalité harmonisée et plus juste à l’échelle communautaire ; le dumping fiscal interne à la zone euro n’est plus acceptable. L’ensemble des partis verts européens a fait de la lutte contre les paradis fiscaux, la fraude fiscale et l'évasion fiscale une priorité. Les écologistes lanceront en parallèle une coalition de pays favorables à l’instauration d’un ISF-Climatique, pour réhausser l’ambition fiscale européenne. Les Verts allemands, au pouvoir dans la nouvelle coalition, soutiennent également cette mesure."

Quel cadre fiscal et légal faut-il appliquer aux crypto-monnaies ?

YJ : "Les crypto-actifs sont des innovations intéressantes, mais posent aujourd’hui à notre système économique, fiscal et social plusieurs problèmes importants. Des efforts de régulation s’imposent si l’on veut à la fois conserver le potentiel d’innovation et maîtriser les risques de fragmentation de notre système monétaire et fiscal. La règle doit rester la même pour tous. Le problème écologique est également central : le minage nécessite une consommation énergétique très importante pour assurer la sécurité du système. Les solutions qui sont souvent invoquées, comme la transformation du système de sécurisation du dispositif, ne sont aujourd’hui pas opérationnelles et rien, pas même un passage aux énergies renouvelables, ne peut justifier une telle consommation, incompatible avec l’exigence de sobriété.

Je parle de crypto-actifs et pas de crypto-monnaies car ce sont bien des actifs, reconnus comme tels par le droit français. A l’exception de pays où le niveau de bancarisation est très bas, comme le Salvador, cela n’a pas de sens de les considérer comme une monnaie. A ce titre et du fait de leur impact environnemental, ils seront concernés par les mesures que je propose : l’ISF climatique et le malus prudentiel pour les investissements polluants. Avant qu’il ne soit trop tard pour intervenir, je limiterai l’investissement des acteurs financiers en crypto-actifs, et notamment en Bitcoin, par une obligation de fonds propres et par l’instauration d’un visa obligatoire et effectif de l’Autorité des marchés financiers. Les acteurs fournissant les accès en crypto-actifs sont des acteurs financiers, ils doivent être soumis aux mêmes réglementations que les acteurs financiers traditionnels. Je reviendrai sur l’anonymat des détenteurs au-delà d’un certain montant de transactions. Enfin, il est crucial de disposer d’un cadre international de régulation, les actions dispersées des Etats ne pouvant avoir qu’un impact limité."

Le programme intégral de Yannick Jadot.