Sur le marché primaire, lorsque les sociétés s’introduisent en Bourse ou procèdent à une augmentation de capital, leur objectif est de lever des fonds en échange d’une participation au capital. Cette fonction leur permet d’investir, d'innover, d'embaucher, de rembourser leur dette aussi… En bref, d’avoir les moyens financiers de se développer. Sans cet accès au financement, bien des entreprises resteraient confinées à de plus modestes ambitions.

Vous pourriez alors m’interrompre et me dire que vous n’avez pas acheté vos actions lors d’une introduction en Bourse ou d’une levée de fonds, mais sur le marché secondaire, à un autre investisseur, et donc que votre impact sur le développement de l’entreprise est nul. Mais même dans ce cas, vous contribuez au fonctionnement de l’économie puisqu’en étant actionnaire, vous participez à la liquidité du marché et aux décisions de la société grâce aux droits de vote que votre participation confère. La Bourse est avant tout un instrument qui favorise la circulation de l’épargne, la libre allocation du capital et la vitalité du système financier.

En revanche, la question de l’éthique peut se poser lorsque l’on s’interroge sur ce que l’on finance. Car posséder une action est un choix, voire une conviction. En achetant les titres d’un groupe pétrolier, d’un cigarettier ou d’une entreprise qui externalise massivement ses coûts sociaux ou environnementaux, l’investisseur cautionne et accepte les conséquences (au moins indirectement) d’un certain modèle économique. Pour autant, il serait simpliste de blâmer ceux qui détiennent ces actions : ces entreprises ont la même légitimité à exister qu’une société de la santé, de l’éducation ou des énergies renouvelables puisqu’elles répondent à une demande et à nos comportements de consommation.

À l’inverse, la spéculation effrénée sur les variations de court à très court terme, déconnectée de toute considération pour la valeur réelle des entreprises, suscite souvent la critique. Beaucoup y voient un jeu dangereux, stérile, où l’appât du gain immédiat l’emporte sur toute logique économique. Il en va de même pour certains produits dérivés. Pourtant, si votre placement de long terme venait à mal tourner et que les pertes s’accumulaient, conserveriez-vous la même exigence éthique que celle que vous vous étiez fixée au départ ? La Bourse reste, par essence, un lieu d’investissement. Et tout investissement implique une attente de rendement. La spéculation, finalement, n’est qu’une autre forme, plus directe et assumée, de cette ambition de retour sur capital.

Comme tout modèle, celui-ci a ses limites. L’investissement dit socialement responsable (ESG ou ISR) a été conçu pour permettre aux investisseurs d’intégrer cette dimension éthique à leurs placements. Mais l’approche n’échappe pas à ses propres contradictions. La méthodologie du best in class en est l’illustration : elle consiste à retenir, au sein d’un même secteur, les entreprises les mieux notées sur le plan environnemental, social ou de gouvernance. Ainsi, des groupes issus d’industries fortement polluantes peuvent paradoxalement figurer dans un fonds labellisé “responsable” simplement parce qu’ils sont moins mauvais que leurs concurrents.

Savoir si la Bourse est éthique est ainsi une question délicate, complexe et surtout profondément personnelle, qui dépend de la cohérence entre ses valeurs et ses placements. Certains estimeront que la pression constante exercée par les actionnaires sur les directions pousse à des décisions détachées de toute considération morale, comme lorsqu’une entreprise privilégie la distribution de dividendes ou les rachats d’actions au détriment de l’investissement ou de l’emploi. Mais il n'existe pas de règles immuables. Chacun y projette ses objectifs, sa tolérance au risque et sa vision de l’éthique.