Les données américaines, essentielles au commerce mondial des céréales et du soja, sont devenues inaccessibles en raison de la fermeture du gouvernement fédéral, laissant les négociants en matières premières et les agriculteurs sans estimations de production, données sur les ventes à l'exportation ni rapports de marché, au moment crucial de la récolte d'automne.

Ce blackout survient à un moment particulièrement difficile pour les agriculteurs, confrontés à la faiblesse des prix des céréales et à l'incertitude concernant les dommages causés aux champs de maïs et de soja par la sécheresse et les maladies des cultures.

Selon les analystes, les précédentes fermetures durant le premier mandat du président Donald Trump avaient été moins perturbatrices, car elles étaient intervenues après la saison des récoltes.

Donald Trump, réélu président des États-Unis lors du scrutin du 5 novembre 2024 et investi le 20 janvier 2025, est actuellement engagé dans une guerre commerciale avec la Chine, qui a empêché le plus grand importateur mondial de soja d'acheter des approvisionnements américains. Les négociants surveillaient de près tout signe d'accord, mais le département américain de l'Agriculture (USDA) ne confirme plus, comme à l'accoutumée, les ventes à l'export.

Cette perturbation prive producteurs et négociants d'informations actualisées sur l'avancement des récoltes et l'état des cultures. Le secteur s'appuie sur les rapports de l'USDA pour fixer les prix et couvrir les risques sur des produits allant du maïs et du soja au bétail.

« Le marché avance ici totalement à l'aveugle », déplore Sherman Newlin, agriculteur dans l'Illinois et analyste chez Risk Management Commodities.

Parmi les publications suspendues figurent le rapport hebdomadaire de l'USDA sur les ventes à l'export, les annonces quotidiennes de ventes et le rapport mensuel sur l'offre et la demande agricoles mondiales (WASDE), qui devait paraître jeudi. Ce rapport aurait fourni des mises à jour sur la production américaine de maïs et de soja, ainsi que sur la demande mondiale, alors que les agriculteurs récoltent d'importantes quantités.

La Commodity Futures Trading Commission (CFTC) a également interrompu la publication de ses données hebdomadaires sur les positions des spéculateurs sur les marchés, des informations pouvant influencer le prix des cultures.

La CFTC n'a pas pu être jointe pour commenter, tandis que l'USDA a imputé la responsabilité de ces interruptions de données au parti démocrate.

« Tant que les démocrates continuent de voter pour prolonger la fermeture du gouvernement, des rapports clés de l'USDA tels que le WASDE et le rapport sur l'état des cultures sont retardés, privant les agriculteurs d'informations essentielles pour commercialiser leurs récoltes et planifier l'année prochaine », a déclaré l'USDA dans un communiqué transmis à Reuters.

Privés de ces mises à jour, les investisseurs s'entretiennent avec les agriculteurs, étudient les images satellites et se concentrent sur les mouvements techniques des prix au Chicago Board of Trade pour tenter de deviner les intentions des négociants et des fonds de matières premières.

Cependant, ce manque de données a engendré un déficit de transparence sur le marché et un déséquilibre concurrentiel, estiment certains négociants.

Les grands groupes céréaliers comme Cargill, Bunge Global et Archer-Daniels-Midland détiennent d'importants stocks et des données propriétaires, ce qui leur confère un avantage sur les acteurs plus modestes, selon des négociants. Les entreprises n'ont pas souhaité commenter.

UNE VISION OBJECTIVE MANQUANTE

Les volumes d'échanges sur les contrats à terme de céréales ont reculé, les investisseurs hésitant à prendre des positions importantes sans les données hebdomadaires de la CFTC sur les engagements des traders, qui révèlent la position des fonds.

« Sans ce type de données, qui voudrait prendre de gros risques ? » s'interroge Newlin.

Le blackout affecte surtout les négociants américains, car les opérateurs en Asie, en Amérique du Sud et en Europe disposent d'autres sources d'information, explique Ole Houe, directeur des services de conseil chez IKON Commodities à Sydney.

Les négociants estiment pouvoir traverser le mois d'octobre sans les données mensuelles sur l'offre et la demande de l'USDA, car il est bien établi que les récoltes américaines sont abondantes. Mais ils pourraient être surpris à la reprise des publications.

« Toute l'industrie céréalière surveille ce rapport mensuel », souligne Erica Maedke, vice-présidente d'Ever.Ag Insights, à propos du WASDE. « Le mois prochain, toutes les estimations seront faussées. »

En attendant, les analystes s'appuient sur des discussions avec les agriculteurs et les silos pour reconstituer l'état du marché.

Les négociants suivent aussi les niveaux de base pour le soja, c'est-à-dire l'écart entre les prix au comptant et les contrats à terme, afin de déterminer si les agriculteurs retardent la vente de leurs récoltes ou si l'offre se resserre en raison de la demande à l'export.

« C'est comme regarder un éléphant en n'en voyant qu'une infime partie », image Maedke. « L'USDA nous donne chaque mois une vision globale. Sans cela, chacun ne voit qu'un petit bout. »

Des sociétés privées telles que StoneX et S&P Global Commodity Insights ont publié leurs propres estimations de production, indiquant des rendements de maïs plus faibles. Pourtant, les données de l'USDA, issues d'images satellites, d'enquêtes auprès des agriculteurs et d'échantillonnages sur le terrain, restent la référence.

« Globalement, l'USDA nous fournit les chiffres les plus objectifs dont nous disposons », estime Diana Klemme, de Grain Service Corporation à Atlanta. « Ils ne sont pas toujours exacts, mais le marché s'y réfère. Ils nous manquent. »