Un modèle industriel unique : la fonderie du monde

Fondée en 1987 à Hsinchu par Morris Chang, TSMC (pour Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) est la pionnière du modèle pure-play foundry, une fonderie indépendante qui fabrique des semi-conducteurs pour le compte de concepteurs sans usines (les fameux fabless companies). Ce positionnement d'atelier universel du silicium a bouleversé le secteur. Au lieu de rivaliser avec les concepteurs de puces, TSMC est devenue leur bras industriel. Apple, Nvidia, AMD, Broadcom, Qualcomm, Intel eux-mêmes : tous confient à TSMC la production de leurs puces les plus avancées. 

Aujourd’hui, la société contrôle près de 60% du marché mondial de la fonderie, et jusqu’à 90% pour les nœuds de gravure les plus avancés (3 nm et 5 nm). Cette domination technologique s’appuie sur un savoir-faire industriel hors norme. TSMC maîtrise l’art de graver des transistors de quelques atomes de largeur, exploitant des technologies de lithographie extrême ultraviolet (EUV) d'ASML

L’entreprise reste fidèle à son modèle de neutralité : elle ne conçoit pas ses propres puces et ne concurrence jamais ses clients. Cette promesse de loyauté absolue a cimenté des relations d’une rare solidité dans l’industrie. Dans un monde où la confiance est aussi stratégique que la technologie, TSMC est devenue l’allié incontournable des géants de la tech. 

Schéma de la chaîne de valeur des semiconducteurs :

Source : EconomyCharts

Une rentabilité exceptionnelle nourrie par l’avance technologique

TSMC n’est pas seulement un leader technologique : c’est une entreprise d’une efficacité financière remarquable. Sa marge opérationnelle avoisine 50%, son taux de rendement sur capitaux investis dépasse 25%, et son cours de Bourse se négocie à 23 fois les bénéfices anticipés, une prime justifiée face à Samsung ou Intel, bien moins rentables. 

Evolution du cours de bourse (en total return) de TSMC, Intel et Samsung sur 10 ans glissants :

Source : Zonebourse

Cette performance repose sur des barrières à l’entrée colossales : un cycle d’investissement annuel de 36 milliards de dollars, dont 30 milliards en capex et 6 milliards en R&D. Chaque nouvelle génération de gravure exige des usines ultrapropre coûtant jusqu’à 28 milliards de dollars. Une seule machine EUV coûte 380 millions de dollars, et il en faut plusieurs dizaines pour une ligne de production complète. Cette intensité capitalistique rend la concurrence quasi impossible.

En 2024, TSMC a déjà massifié la production en 3 nm, et s’apprête à lancer le 2 nm à la fin de 2025. Ces puces offriront 30% d’efficacité énergétique supplémentaire et 15% de vitesse en plus par rapport à la génération précédente. Cette avance confère à TSMC un pouvoir de fixation des prix unique : ses clients n’ont pas d’alternative crédible. Une hausse de 10% de ses tarifs ne ferait qu’ajouter quelques dollars au coût d’un iPhone ou d’une carte graphique, une broutille pour des produits vendus à plus de 1 000 USD.

Des moteurs de croissance puissants : IA, HPC et automobile

Le cœur de la croissance de la société taïwanaise, c’est l'explosion de la demande en calcul haute performance (HPC), portée par l’intelligence artificielle. Les modèles d’apprentissage profond exigent une puissance de calcul colossale, mobilisant des dizaines de milliers de processeurs graphiques (GPU) produits par Nvidia, eux-mêmes fabriqués exclusivement par TSMC.

Les grands acteurs du cloud (Amazon AWS, Microsoft Azure, Google Cloud) déploient des millions de puces dans leurs centres de données. Chaque serveur d’entraînement pour modèles de langage embarque entre quatre et huit GPU, et un seul data center peut nécessiter plusieurs millions de semi-conducteurs avancés. 

Mais la dynamique ne s’arrête pas là : le véhicule électrique, l’Internet des objets (IoT), la robotique et les infrastructures 5G alimentent également la demande. Une voiture électrique intègre jusqu’à 3 000 puces, contre à peine 1 000 pour un moteur thermique. TSMC bénéficie donc d’une double impulsion : plus de volume et plus de valeur ajoutée par puce.

Le segment High Performance Computing représente désormais plus de 50% des ventes, contre 43% en 2023. Les analystes anticipent une croissance du chiffre d’affaires de 30 à 35% en 2025 et une progression moyenne des bénéfices par action d’environ 15% par an sur les cinq prochaines années.

Les résultats du 16 octobre 2025 : vers un record historique ? 

La prochaine publication des résultats trimestriels, prévue le 16 octobre 2025, pourrait marquer un tournant. Selon les estimations du consensus des analystes, TSMC devrait dévoiler un bénéfice net record de 407 milliards de dollars taïwanais pour le troisième trimestre, en hausse de 26% sur un an. Toute performance supérieure à 398,3 milliards TWD constituerait un nouveau sommet historique, confirmant sept trimestres consécutifs de croissance. 

Source : Zonebourse

Le chiffre d’affaires du trimestre, déjà communiqué, a bondi de 30%, dépassant les attentes les plus optimistes du marché. Cette envolée s’explique par la vigueur des commandes d’Apple, Nvidia, AMD et Broadcom, et par la demande insatiable des centres de données d’IA. Les marges devraient rester robustes, autour de 57-58% pour la marge brute et 47-48% pour la marge opérationnelle, malgré la montée des coûts énergétiques à Taïwan et les investissements massifs à l’étranger.

TSMC devrait continuer de surperformer ses concurrents car la croissance exponentielle de l’infrastructure IA ne laisse qu’un seul partenaire crédible. On peut s'attendre à une hausse annuelle de 30 à 35% des revenus en 2025, grâce à une combinaison d’augmentation des volumes et de prix moyens plus élevés. 

Cette publication sera d’autant plus scrutée que TSMC présentera ses perspectives pour le quatrième trimestre et 2026 lors de sa conférence téléphonique. Les investisseurs attendent des indications sur la montée en puissance du 2 nm, sur les capacités de packaging CoWoS et sur l’impact éventuel des tarifs douaniers américains récemment évoqués par le président Trump. 

Mais pour l’heure, le marché n'y voit qu’un bruit de fond : l’action a déjà progressé de 30% depuis le début de l’année, et le Taiex taïwanais en a profité pour gagner près de 17%, tiré par l’effet d’entraînement du champion national.

Expansion mondiale et levier de souveraineté technologique

TSMC n’est plus seulement un acteur industriel : c’est un actif géopolitique. Sa domination, qui représente près de 25% du PIB taïwanais et 30% de la capitalisation boursière nationale, confère à l’entreprise un poids stratégique unique. Consciente de sa responsabilité systémique, la société accélère sa diversification géographique.

Elle investit 165 milliards de dollars dans ses nouvelles usines à Phoenix (Arizona), Kumamoto (Japon) et Dresde (Allemagne), afin de réduire sa dépendance à Taïwan et de rassurer ses clients américains et européens. Ces implantations, soutenues par le Chips Act américain et des subventions japonaises et européennes, devraient réduire le risque géopolitique perçu tout en ouvrant de nouveaux relais de croissance.

Si ces projets pèseront temporairement sur les marges (dilution de 2 à 3% selon le management), ils renforceront la pérennité du modèle. À terme, TSMC sera capable de produire sur plusieurs continents, d’équilibrer ses chaînes d’approvisionnement et de sécuriser ses clients contre toute rupture liée aux tensions sino-américaines. 

Graphique TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company)

Les risques : la peur et la réalité

Le premier risque reste géopolitique. Le détroit de Taïwan demeure un point de friction majeur entre Washington et Pékin. En cas de conflit, l’impact sur les chaînes d’approvisionnement mondiales serait dévastateur. Cependant, la probabilité d’un affrontement direct reste faible : la Chine dépend elle-même des puces taïwanaises pour son économie et ses ambitions militaires. Une invasion détruirait l’outil industriel qu’elle convoite.

Le deuxième risque est macroéconomique. Si la demande d’infrastructures d’IA devait ralentir, TSMC en ressentirait les effets. Mais là encore, les tendances restent favorables. La généralisation de l’IA dans les entreprises, les objets connectés, les véhicules autonomes et les robots humanoïdes alimente une croissance structurelle de la demande en semi-conducteurs avancés.

Enfin, les coûts d’expansion internationale pourraient temporairement peser sur les marges. Les nouvelles usines en Arizona et en Allemagne affichent des coûts de main-d’œuvre et d’énergie supérieurs à ceux de Taïwan. Mais la direction anticipe une compensation rapide grâce à l’effet d’échelle et au partage des coûts avec les clients stratégiques. 

Un pari sur la nécessité

À 23 fois les bénéfices anticipés, TSMC n’est pas une action bon marché mais la valorisation reste cohérente avec sa croissance et son positionnement unique.

Le 16 octobre 2025, lorsque ses résultats tomberont, il ne s’agira pas seulement d’un nouveau trimestre record. Ce sera la confirmation que TSMC reste l’épine dorsale de la révolution de l’intelligence artificielle, un acteur dont la domination n’est pas menacée mais consolidée. Et dans ce marché où les craintes géopolitiques font souvent vaciller la raison, TSMC continue de démontrer, trimestre après trimestre, que la nécessité finit toujours par triompher de la peur.