* 40 ans après la Révolution, Bani-Sadr confie son amertume

* Il vit en exil en France depuis 1981

* "Les mollahs ont tracé un autre destin"

par John Irish et Michaela Cabrera

VERSAILLES, Yvelines, 4 février (Reuters) - Quarante ans après, Abolhassan Bani-Sadr ne cache pas son amertume à l'évocation des commémorations de la Révolution iranienne : pour l'ancien président, le premier guide de la République islamique, l'ayatollah Ruhollah Khomeini, a trahi les idéaux de 1979.

"C'est en Iran qu’il a changé, en descendant de l'avion", se remémore le premier président de la République islamique d'Iran, élu au suffrage universel en janvier 1980 avec 76% des voix, avant d'être destitué en juin 1981 sous la pression des dirigeants du Parti de la République islamique.

Il vit depuis en exil en France, à Versailles, dans une résidence protégée.

"Les mollahs (chefs religieux-NDLR) se sont emparés de Khomeini et ont tracé un autre destin, qui est celui de la dictature d'aujourd'hui", déplore Abolhassan Bani-Sadr, 85 ans, dans une interview en français à Reuters.

C'est à Nadjaf, en 1971, qu'il fit la connaissance de l'ayatollah Khomeini. Son combat pour la démocratie, qu'il veut inspiré d'une lecture dépassionnée des principes phares du Coran, a nourri les prémices de la Révolution iranienne.

"Quand nous étions en France avec Khomeini, tout ce que nous disions, il l'acceptait sans hésiter, le visage ouvert et riant", raconte Abolhassan Bani-Sadr. "Nous étions sûrs qu'un chef religieux s'engageait pour que tous ces principes se réalisent pour la première fois dans notre Histoire. On était très heureux".

"Quand il était en France, l'ayatollah Khomeini était du côté de la liberté", souligne-t-il.

Paul Taylor, ancien correspondant de Reuters, se souvient du séjour du dignitaire chiite à Neauphle-le-Château (Yvelines), près de Paris, où il résida d'octobre 1978 à son départ pour l'Iran en février 1979.

"Khomeini était incroyablement placide, il montrait peu d'émotions, c'est comme s'il était sur une autre planète", se rappelle-t-il. "Quand ils ont quitté la France, à bord d'un avion d'Air France, ils se demandaient si l'avion allait être abattu, s'ils allaient pouvoir atterrir".

Le 1er février 1979, l'appareil se posait à Téhéran avec à son bord le futur "Guide", de retour d'un exil de plus de 14 ans. La dynastie des Pahlavi vivait ses dernières heures, jusqu'à la "victoire" de la Révolution.

Khomeini allait diriger l'Iran jusqu'à sa mort le 3 juin 1989, à l'âge de 86 ans.

Quelques mois après notre retour, "les durs du régime s'en sont pris aux femmes qui ne portaient pas le foulard. Je suis allé voir M. Khomeini à Qom (à 150 km au sud-ouest de Téhéran-NDLR) et je lui ai dit : 'Vous aviez dit que les femmes seraient libres de porter ou pas le voile'", relate Abolhassan Bani-Sadr.

"Il m'a répondu : 'Par convenance j'ai dit des choses en France, mais tout ce que j'ai dit en France ne m'engage pas. Si je le juge nécessaire, je dirai le contraire", se souvient l'ancien président.

"Pour moi c'était très, très amer". (Version française Sophie Louet, édité par Yves Clarisse)