Après l'abandon par LVMH de ses fiançailles à 16 milliards de dollars (13,5 milliards d'euros) avec Tiffany, Wall Street semble croire ce dernier capable de poursuivre son chemin en solo. Et le joaillier américain est du même avis.

Mercredi, après l'annonce choc du numéro un mondial du luxe, le directeur général de Tiffany, Alessandro Bogliolo, a organisé une téléconférence avec les salariés pour leur rappeler que le groupe n'avait pas sollicité l'offre de LVMH et que si celle-ci échouait, Tiffany s'en accommoderait.

Tiffany n'a pas souhaité commenter l'information.

A la Bourse de New York, l'action du groupe américain s'échangeait vendredi à plus de 114 dollars. En octobre, avant les premières informations sur l'intérêt de LVMH, elle se traitait à moins de 99 dollars. Elle affiche donc une progression de plus de 15% malgré le coup porté à l'activité par la crise du coronavirus et la perspective de l'abandon définitif du projet de mariage.

"L'opération semblait véritablement bénéfique pour les deux parties. Mais au bout du compte, Tiffany s'en sortira. Il dispose d'une image et d'une histoire sans égales, ce qui le rend extrêmement attractif", estime Robert Burke, fondateur d'un cabinet de conseil spécialisé dans le luxe.

Les dirigeants de Tiffany étaient enthousiastes à l'idée d'un rapprochement avec LVMH au lancement du projet, y voyant le couronnement des efforts entrepris pour redresser l'entreprise, selon une source proche du dossier.

Mais dans sa plainte déposée mercredi devant la justice du Delaware, le joaillier argue du fait qu'à partir du mois de mars, LVMH a commencé à freiner les procédures antitrust, une manoeuvre pour faire capoter le projet.

"LVMH a cherché à retarder et à compliquer les processus d'autorisations réglementaires par tous les moyens possibles", affirme le groupe américain.

D'AUTRES CIBLES POUR LVMH, D'AUTRES PRÉTENDANTS POUR TIFFANY

Interrogé mercredi sur d'éventuels projets alternatifs d'acquisition aux Etats-Unis, le directeur financier de LVMH, Jean-Jacques Guiony, a répondu que Tiffany était le seul grand joaillier du pays et qu'il ne voulait pas spéculer davantage.

Jeudi, pourtant, le groupe suisse de joaillerie et d'horlogerie Richemont a gagné 5% en Bourse, son nom étant cité dans une note d'analyste financier comme une possible cible de rechange pour le français.

Certains connaisseurs du secteur pensent quant à eux que le revirement de LVMH ne vise qu'à obtenir une renégociation du prix de rachat de Tiffany et non à une rupture définitive.

Oppenheimer estime ainsi que le groupe dirigé par Bernard Arnault ramènera son prix à 108 dollars par action.

Pour Luca Solca, analyste de Bernstein, Richemont, déjà propriétaire de Cartier et Van Cleef & Arpels entre autres, pourrait à son tour courtiser Tiffany, tout comme Kering.

"S'il est difficile de déterminer si ces sociétés sont intéressées et à quel niveau, l'idée que Tiffany est ouvert à des M&A devrait lui assurer un soutien", ajoute-t-il.

L'INDÉPENDANCE A UN PRIX

S'il affiche sa sérénité devant les salariés, Alessandro Bogliolo doit, comme ses rivaux, affronter une situation économique particulièrement défavorable avec la récession simultanée de toutes les grandes économies causée par la pandémie de coronavirus. Or il pourrait être moins bien armé que certains d'entre eux pour y faire face.

Les marques de luxe indépendantes comme lui, tel le britannique Burberry ou l'italien Salvatore Ferragamo, affichent des performances inférieures à celles des conglomérats qui ont dominé le secteur ces dernières années, notamment parce qu'elles peuvent moins facilement se protéger des évolutions des modes de consommation et des goûts de la clientèle.

LVMH, par exemple, chapeaute plus de 70 marques, dont des vaches à lait comme Louis Vuitton, largement capables d'amortir les difficultés d'activités de plus petite taille.

Les grands groupes disposent aussi des ressources leur permettant d'investir massivement dans le marketing, sur les réseaux sociaux entre autres.

Alors qu'il se félicitait en novembre dernier de devenir "propriétaire d'une couleur" en référence au bleu emblématique de Tiffany, LVMH a reproché cette semaine à la direction de l'américain des performances commerciales "ternes", estimant qu'il avait fait moins bien que ses propres marques au premier semestre. Il a aussi mis en cause la distribution d'acomptes sur dividendes en dépit d'une perte nette et de la chute de 34% des ventes sur les six premiers mois de l'année.

"On ne peut être très heureux avec une entreprise qui perd de l'argent", a dit Jean-Jacques Guiony à la presse.

(Avec Joshua Franklin à Boston, Francesca Piscioneri à Rome, Nivedita Balu à Bangalore, version française Marc Angrand)

par Melissa Fares, Silvia Aloisi et Sarah White