PARIS (Reuters) - Veolia et Engie ont annoncé vendredi qu'ils feraient appel de la décision rendue par le tribunal judiciaire de Paris ordonnant la suspension des effets de l'acquisition par le groupe d'Antoine Frérot des actions Suez détenues par Engie ainsi que de l'OPA prévue dans la foulée par le groupe de services aux collectivités sur son rival.

Dans son ordonnance de référé, que Reuters a pu consulter, le tribunal a donné raison aux comités sociaux et économiques (CSE) du groupe Suez qui dénonçaient un délit d'entrave aux prérogatives des instances de représentation du personnel.

Il ordonne "la suspension de l'opération résultant de l'offre d'acquisition par Veolia des actions de Suez détenues par Engie et l'OPA de Veolia sur Suez tant que les CSE concernés n'auront pas été informés et consultés sur les décisions déjà prises et annoncées publiquement par voie de presse le 30 août 2020 par Veolia et Engie".

Veolia avait dévoilé ce jour-là ses projets, aussitôt rejetés par l'état-major de Suez qui a tenté de s'opposer jusqu'au bout à la session de l'essentiel des actions détenues par Engie.

Mais le conseil d'administration d'Engie, contre l'avis des administrateurs de l'Etat, a donné lundi soir son feu vert à la vente à Veolia de l'essentiel de sa participation de 32% dans Suez.

Cette cession pour 3,4 milliards d'euros ouvre la voie à la prise de contrôle total par Veolia du groupe de services aux collectivités en dépit de l'opposition de l'Etat, premier actionnaire d'Engie.

"PAS DE FONDEMENT JURIDIQUE"

Dans le communiqué annonçant sa décision de faire appel contre une ordonnance qui, dit-il, "n'a pas de fondement juridique", le groupe d'Antoine Frérot conteste l'argumentation du tribunal.

"Seul le management de Suez est compétent pour organiser une information-consultation de ses CSE. Cette réalité ne peut échapper à personne. Suez n'a pas engagé de procédure d'information-consultation vis-à-vis de ses instances représentatives du personnel puisque sa direction s'oppose au projet", souligne le groupe.

"Faire porter sur Veolia la responsabilité du défaut de l'organisation d'une telle consultation est donc parfaitement ubuesque puisque le groupe n'avait manifestement pas ce pouvoir."

Le géant des services aux collectivités considère également que "les prétendues 'décisions déjà prises et annoncées publiquement par voie de presse le 30 août 2020 par Veolia et Engie' visées par l'ordonnance n'existent pas".

"A cette date, ajoute le groupe, seule existait une offre de Veolia à Engie. A ce jour, aux dires même du directeur général de Suez (ndlr, Bertrand Camus), Veolia n'est pas un actionnaire de contrôle."

La décision rendue par le tribunal n'est pas de nature à bloquer l'opération industrielle mais apporte un nouveau chapitre dans un feuilleton riche déjà en rebondissements entre des groupes historiques dirigés par des figures installées du capitalisme français qui connaît aussi des prolongements politiques.

EN MODE PAUSE

La consultation des représentants du personnel pourrait prendre deux à trois mois.

"Veolia ne peut pas faire autrement que de respecter cette décision", a déclaré à Reuters, avant l'annonce de l'appel, Me Zoran Ilic, un des avocats des demandeurs. Veolia, a-t-il ajouté, "ne peut pas passer outre et doit consulter les représentants du personnel sur les conséquences sociales de cette opération".

"Le CSE n'a pas le pouvoir de faire interdire cette opération mais peut obtenir sa suspension tant que ses prérogatives ne sont pas respectées, et c'est ce qu'a décidé le tribunal judiciaire", a-t-il précisé.

"Ils ne vont pas pouvoir aller plus loin tant que les CSE n'ont pas été consultés", a déclaré Valérie Dolivet, autre avocate conseillant les CSE de Suez, ajoutant que cette ordonnance va avoir pour effet de mettre en pause les projets de prise de contrôle complète de Suez par Veolia et de vente de Suez Eau France au fonds Meridiam.

Les syndicats de Suez, qui redoutent une "casse sociale", se sont félicités de cette première victoire en justice.

"Cette décision reconnaît le droit des salariés de Suez et de leurs représentants du personnel d'être associés aux décisions impactant directement leur avenir", estime l'intersyndicale dans un communiqué titrée "MM. (Jean-Pierre) Clamadieu (ndlr, le président du conseil d'administration d'Engie) et Frérot vous n'êtes pas au-dessus du code du travail et des lois de la République !!!"

Le gouvernement, même si Jean Castex a estimé le 3 septembre que cette opération semblait "faire sens", a tenté pour sa part une conciliation entre les deux parties.

Quelques heures après le vote du conseil d'Engie, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, avait déploré mardi matin "l'intransigeance" de Suez et "la précipitation" de Veolia, réaffirmant que le succès d'une opération de ce genre dépendait de la capacité des deux groupes à trouver un accord amiable.

(avec Mattieu Protard et Henri-Pierre André; édité par Gwénaëlle Barzic et Jean-Stéphane Brosse)

par Geert De Clercq