Jean-Yves Le Drian, qui a envoyé à LVMH une lettre demandant au groupe de luxe français de différer au 6 janvier l'acquisition du joaillier américain Tiffany, l'a fait à la demande de l'Elysée, ont déclaré à Reuters deux sources au fait des discussions au sein du gouvernement au sujet de ce courrier.

Le groupe de Bernard Arnault a annoncé le 9 septembre qu'il ne pouvait plus "en l'état" boucler comme prévu avant le 24 novembre l'acquisition de Tiffany pour un montant de 16 milliards de dollars (13,6 milliards d'euros), évoquant notamment une demande du ministère français des Affaires étrangères de différer le mariage "en réaction à la menace de taxes sur les produits français formulée par les Etats-Unis".

La lettre en question a été signée par Jean-Yves Le Drian, selon les documents légaux remis par LVMH et Tiffany dans le cadre d'une procédure judiciaire aux Etats-Unis.

Selon les deux sources interrogées par Reuters, qui ont requis l'anonymat, l'Elysée a demandé à Jean-Yves Le Drian d'écrire cette lettre.

L'Elysée n'a pas souhaité faire de commentaire.

Lors des séances des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, Jean-Yves Le Drian a déclaré qu'il avait été "totalement dans son rôle" en écrivant à LVMH pour l'avertir du risque de sanctions américaines contre le secteur du luxe.

"En matière de diplomatie économique, mon rôle a trois orientations: il fait part aux groupes français de vocation internationale de la politique commerciale et transatlantique que suit le gouvernement", a-t-il dit. "Deuxièmement, mon rôle est de répondre à leurs interrogations politiques, quel que soit le pays mais singulièrement sur les Etats-Unis."

"Troisièmement, mon rôle est d'appliquer le cas échéant l'avis du gouvernement sur une appréciation de nature politique sur la gestion des grandes échéances internationales à venir. C'est la raison pour laquelle j'ai répondu à une interrogation du groupe LVMH totalement dans mon rôle."

LVMH n'a pas réagi directement à propos de cet échange entre l'Elysée et le ministère des Affaires étrangères.

Une porte-parole de LVMH a réaffirmé des déclarations précédentes selon lesquelles le groupe n'avait pas sollicité une telle lettre et a estimé que les informations en ce sens étaient infondées.

PROCÈS EN JANVIER

La pandémie de coronavirus a porté un coup sévère au secteur du luxe et soulevé des interrogations sur le projet d'acquisition de Tiffany par LVMH à un prix de 135 dollars par action. Mardi à Wall Street, l'action du joaillier américain se négociait à 116 dollars.

Après avoir remis ce projet en question, le groupe de Bernard Arnault a mis en cause la distribution d'acomptes sur dividendes aux actionnaires de Tiffany en dépit d'une perte nette et a reproché la semaine dernière à la direction du joaillier américain des performances commerciales "ternes".

Tiffany a riposté en portant l'affaire devant la justice américaine. Quatre jours de procès auront lieu à compter du 5 janvier prochain devant la Cour de justice du Delaware.

Le joaillier accuse le groupe français de retarder sciemment l'obtention des autorisations administratives relatives aux règles anti-trust à travers le monde et de jouer la montre pour que l'accord, annoncé en novembre dernier, échoue.

Dans un document déposé devant la justice du Delaware, Tiffany a déclaré avoir fourni en août à LVMH des prévisions mises à jour selon lesquelles son bénéfice au quatrième trimestre 2020 sera meilleur qu'au dernier trimestre 2019.

En juin dernier, des sources interrogées par Reuters indiquaient que LVMH réfléchissait aux moyens de renégocier l'acquisition du joaillier à un prix inférieur, ce que LVMH a toujours démenti depuis.

Selon des analystes, il n'est pas exclu que les deux sociétés s'entendent in fine sur une acquisition à un moindre coût pour LVMH, ni que le groupe de Bernard Arnault ait déjà les yeux tournés vers une autre proie.

(Michel Rose, Gwénaëlle Barzic, Elizabeth Pineau et Sarah White, version française Jean-Michel Bélot et Jean-Stéphane Brosse, édité par Henri-Pierre André)