LVMH a annoncé mercredi l'abandon du projet d'acquisition de Tiffany, qui a riposté en attaquant le géant français du luxe devant la justice américaine pour le contraindre à finaliser cette opération estimée à 16,2 milliards de dollars (13,8 milliards d'euros).

LVMH dit sans plus de détails avoir pris connaissance d'une lettre du ministère français des Affaires étrangères lui demandant de reporter l'opération au-delà du 6 janvier "en réaction à la menace de taxes sur les produits français formulée par les Etats-Unis".

Selon une source gouvernementale, Jean-Yves Le Drian a bien envoyé un courrier à LVMH pour l'avertir du risque de sanctions américaines dans le contexte des négociations avec Washington sur la taxe numérique, "avec un impact très lourd dans les secteurs ciblés" comme celui du luxe.

"Depuis juillet 2020, les secteurs à forte exportation française sont menacés de sanctions tarifaires américaines qui ont été simplement suspendues jusqu'au début du mois de janvier 2021", rappelle cette source.

Cette lettre était "à valeur politique" et n'était pas contraignante, ajoute-t-on de même source. "La lettre est la lettre d'un ministre des Affaires étrangères, donc elle a une valeur politique. Elle dit : c'est ça le contexte, c'est ça l'environnement", explique-t-on. LVMH est "libre de tenir compte de la lettre ou pas".

"LVMH CHERCHE À ÉVITER LA TRANSACTION PAR TOUS LES MOYENS"

"L'accord ne peut pas avoir lieu. Il nous est interdit de conclure l'accord", a déclaré Jean-Jacques Guiony, directeur financier de LVMH, lors d'une conférence de presse téléphonique. Il a ajouté que LVMH n'était pas satisfait de la façon dont Tiffany avait été géré ces derniers mois, jugeant sa performance "terne".

Bloomberg News a rapporté que Bernard Arnault avait demandé de l'aide au gouvernement français pour sortir de l'accord d'acquisition de Tiffany, citant une source non-identifiée. Jean-Jacques Guiony a déclaré que la lettre, non-sollicitée, avait été une surprise pour LVMH.

Le groupe avait auparavant déclaré avoir été informé de la requête de Tiffany de repousser la finalisation du rachat du 24 novembre au 31 décembre.

"Compte tenu de ces éléments, et connaissance prise des premières analyses juridiques menées par les conseils et les équipes de LVMH, le conseil d'administration a (...) acté, qu'en l'état, le groupe LVMH ne serait donc pas en mesure de réaliser l'opération d'acquisition de la société Tiffany", dit-il dans un communiqué.

Tiffany, qui a saisi la justice du Delaware, assure pour sa part avoir respecté tous les termes de l'accord annoncé en novembre 2019 mais reproche en revanche au groupe de Bernard Arnault de ne pas avoir honoré ses propres engagements, notamment pour solliciter dans les délais nécessaires les avis des autorités de la concurrence.

Le joaillier accuse aussi LVMH de l'avoir informé avec retard, seulement mardi, de la lettre du Quai d'Orsay datée du 31 août, dont il dit ne pas avoir obtenu de copie.

"Nous pensons que LVMH cherchera à utiliser tous les moyens nécessaires pour tenter d'éviter de conclure la transaction selon les termes convenus", a dit Roger Farah, président de Tiffany, cité dans un communiqué.

A la Bourse de Paris, l'action LVMH, orientée à la hausse en début de séance, est passée dans le rouge après les déclarations du groupe et a clôturé en légère baisse de 0,09% à 404,05 euros. Quant au titre de Tiffany, il a chuté de 11% à Wall Street dans la foulée de la publication du communiqué de LVMH et perdait encore 6,95% vers 19h15 GMT.

(Nicolas Delame et Bertrand Boucey, avec Marc Angrand, Jean-Philippe Lefief, Leigh Thomas et John Irish, édité par Jean-Stéphane Brosse et Henri-Pierre André)

par Sarah White, Silvia Aloisi et Greg Roumeliotis