S'exprimant devant les actionnaires réunis pour l'assemblée générale du groupe à Yokohama, la première depuis l'affaire Carlos Ghosn, le directeur général de Nissan a dit vouloir préserver l'esprit d'égalité au sein de l'alliance, malgré une structure d'actionnariat longtemps perçue comme déséquilibrée au Japon.

A l'issue de cette réunion de trois heures, ponctuée de chahuts, les actionnaires ont reconduit comme prévu Hiroto Saikawa au conseil d'administration, malgré l'opposition de sociétés de conseil. Il a maintenant la lourde tâche de rebâtir une relation de confiance avec le partenaire français, à nouveau ébranlée ces dernières semaines par un bras de fer sur les nouveaux comités de Nissan.

"Nous voulons une relation gagnant-gagnant avec Renault. L'alliance a été prospère jusqu'ici parce que nous avons respecté l'indépendance de chacun", a déclaré Hiroto Saikawa.

"Si cela est nécessaire, nous mettrons notre structure capitalistique sur la table. Si la relation bascule dans un gagnant-perdant, elle se rompra très rapidement", a-t-il poursuivi.

La disgrâce de Carlos Ghosn, accusé de malversations financières qu'il dément, a fragilisé les liens entre Renault et Nissan. Jusqu'à son arrestation en novembre dernier, l'architecte et homme fort de l'alliance était censé travailler à un renforcement de l'édifice pour assurer sa survie au-delà de la génération des fondateurs.

Tout renforcement pose cependant la question de l'évolution des participations croisées. Renault détient actuellement 43,4% de Nissan, tandis que Nissan possède 15% de Renault, sans droit de vote.

SENARD SE DÉFEND FACE AUX CRITIQUES D'ACTIONNAIRES

Hiroto Saikawa a différé l'examen de cette question puisqu'il entend donner la priorité au redressement de Nissan.

"Notre priorité est de redresser notre performance, ce qui signifie repousser les discussions autour du futur de l'alliance", a-t-il déclaré.

Le ministère français de l'Economie - l'Etat est le principal actionnaire de Renault - et le groupe au losange ont tous deux refusé de faire un commentaire.

Selon une source proche de Renault, l'assemblée générale de Nissan est considérée en interne comme s'étant bien passée. "L'amélioration de la gouvernance de Nissan est vue en interne comme une bonne nouvelle, tout comme le fait que l'alliance soit une priorité pour tous", a dit cette source.

Les actionnaires du deuxième constructeur automobile japonais ont approuvé la nouvelle structure de gouvernance, avec notamment un conseil d'administration composé de 11 membres, décidée à la suite de l'arrestation de Carlos Ghosn qui a mis en lumière des failles dans les procédures de contrôle interne de l'entreprise.

Renault avait réclamé d'être davantage représenté dans les puissants comités de l'audit et des nominations de Nissan, une démarche perçue comme des représailles après l'abstention du groupe japonais lors du processus de vote sur le projet de fusion, aujourd'hui avorté, entre Renault et Fiat Chrysler Automobiles.

Hiroto Saikawa, qui avait dans un premier temps rejeté cette demande, a finalement répondu favorablement la semaine dernière en accordant des sièges à Jean-Dominique Senard et à Thierry Bolloré, respectivement président et directeur général de Renault, au sein de ces deux comités.

Nouveau reflet des liens tendus entre les deux partenaires, un actionnaire de Nissan a accusé mardi Jean-Dominique Senard, également vice-président du conseil d'administration de Nissan, de ne pas veiller aux intérêts du groupe japonais et de ses salariés.

"Depuis que je suis arrivé, j'ai fait tout mon possible pour adoucir les relations dans une alliance que j'ai découverte en bien pire état que je le pensais", a répondu le président de Renault. "Je n'avais pas l'intention d'être agressif envers Nissan. Je vous supplie de me croire sur ce point."

QUELLE VISION POUR L'ALLIANCE ?

Hiroto Saikawa, qui a jugé "primordial" de pouvoir discuter avec Renault d'"options" pour l'alliance, a gagné mardi un sursis, sauvant son mandat d'administrateur malgré une campagne inédite des sociétés de conseil aux actionnaires International Shareholder Services (ISS) et Glass Lewis, qui ont exhorté à voter contre la reconduction de l'ancien lieutenant de Carlos Ghosn.

La multiplication récente des désaccords pose la question de la capacité de l'équipe actuelle - Hiroto Saikawa, Jean-Dominique Senard et Thierry Bolloré, longtemps bras droit de Carlos Ghosn chez Renault - à tourner la page de l'ère Ghosn et à doter l'alliance d'une nouvelle vision.

Certains actionnaires de Nissan ont reproché mardi à Hiroto Saikawa de passer davantage de temps à rejeter les demandes de Renault qu'à coopérer avec son partenaire.

"Il y a tellement de sujets liés à l'alliance qui occupent l'entreprise qu'il est dommage que Nissan soit incapable de se concentrer sur les sujets de plus grande ampleur et externes", comme améliorer la compétitivité globale, a dit Hideyki Tamura, actionnaire de Nissan, à la sortie de l'AG.

"Je ne veux pas dire que nous devons fusionner, mais j'ai peur qu'une fusion à long terme de l'alliance fasse défaut à notre management", a-t-il ajouté.

(Avec Gilles Guillaume et Leigh Thomas à Paris, Jean Terzian et Claude Chendjou pour le service français, édité par Bertrand Boucey)

par Naomi Tajitsu