* La FBF craint des distorsions de concurrence

* L'intégrité du marché financier européen serait menacé

par Marc Joanny

PARIS, 10 février (Reuters) - Les banques françaises s'inquiètent des risques de distorsion de concurrence et des conséquences pour l'intégrité et la sécurité du marché financier européen du projet d'accord présenté par le président du Conseil européen Donald Tusk pour prévenir une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Dans un courrier à François Hollande et dont Reuters a pris connaissance, le président de la Fédération bancaire française (FBF) Frédéric Oudéa écrit que ce projet "soulève des problèmes majeurs de principe concernant l'intégrité du marché intérieur, la stabilité financière de l'Union européenne et de la zone euro, et l'égalité de concurrence entre acteurs financiers."

Les propositions de Donald Tusk doivent être discutées lors du Conseil européen des 18 et 19 février prochains.

Elles prévoient que "les mesures prises en cas d'urgence ou de crise, destinées à préserver la stabilité financière de la zone euro n'engageront pas la responsabilité budgétaire des Etats membres dont la monnaie n'est pas l'euro, ou le cas échéant, de ceux qui ne participent pas à l'union bancaire."

"Si cette disposition devait être maintenue, la profession bancaire suggère d'exiger la réciproque pour la zone euro", écrit Frédéric Oudéa, qui dirige la Société générale et préside la Fédération bancaire européenne.

DISTORSIONS DE CONCURRENCE

Il fait explicitement référence au risque de défaillance d'une chambre de compensation hors zone euro, rappelant que "50% des transactions en euro sont compensées dans les chambres de compensation britanniques."

"Dans le même ordre d'idées, la zone euro devrait pouvoir évoquer au Conseil, selon une procédure équivalente, toute décision de pays non euro qui aurait un impact sur son fonctionnement", poursuit le courrier en date du 5 février.

Soulignant qu'en l'état actuel de sa rédaction, le projet Tusk implique que les règles de l'union bancaire ne s'appliqueraient qu'aux institutions de crédit "localisées dans la zone euro", la FBF y voit une remise en cause du marché intérieur des services financiers, voire de la libre prestation de services, qui permet à un établissement bancaire implanté dans un Etat membre d'offrir ses services dans tous les autres.

"Les groupes bancaires européens sont aujourd'hui surveillés en tant que groupes quelle que soit l'implantation de leur filiales et succursales", rappelle le courrier.

"Si cette surveillance sur base consolidée est remise en cause, c'est le fondement du marché intérieur des services financiers qui semble remis en cause (et) l'exercice de la libre prestation de services semble disparaître."

La FBF suggère de clarifier le projet Tusk en faisant expressément référence au principe de la surveillance sur base consolidée, à la libre prestation de service et au respect des accords concernant la surveillance des succursales.

"NÉGATION DU MARCHE INTÉRIEUR"

Le projet semble aussi annoncer la fin du 'single rule book' qui assure l'unité des règles bancaires en Europe, relève aussi Frédéric Oudéa.

Le projet Tusk indique que la mise en oeuvre des mesures incluant la supervision ou la résolution des institutions financières et des marchés est de la compétence des autorités nationales, écrit la FBF.

"Cette rédaction pourrait indiquer que les mesures définies par les autorités financières européennes comme l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP), l'Autorité européenne des valeurs mobilières (AEVM) ne s'appliqueraient pas aux pays non euro.

"Cette possibilité d'avoir plusieurs règles différentes dans l'Union européenne serait la négation même du marché intérieur", écrit le président de la FBF.

"Si ce projet était adopté en l'état, il conduirait à une rupture d'égalité des conditions de concurrence entre acteurs financiers alors même que les établissements non euro continueraient de bénéficier du passeport européen."

Pour la FBF, il créerait aussi un risque de "moins-disant réglementaire" et d'arbitrage entre places financières.

Interrogé par Reuters, Jacques de Larosière, qui a présidé le comité de sages sur l'avenir de la réglementation et de la surveillance financière en Europe en réponse à la crise de 2008, a rappelé que "les autorités de régulation (ABE, AEAPP, AEVM) ont été mises en place en 2011 pour maintenir l'indispensable cohésion entre les différents régulateurs de l'Union et assurer l'harmonisation des règles."

Pour lui, le projet Tusk dans sa rédaction actuelle, "serait une grave erreur et équivaudrait à anéantir les résultats de nombreuses années d'effort pour assurer l'unicité et la stabilité du marché des services bancaires et financiers." (Edité par Yves Clarisse)