-Les deux constructeurs tentent d'aboutir à un accord avant l'AG de Renault le 12 juin

-La valorisation de Renault retenue par FCA fait l'objet de critiques

-L'Etat français veut des garanties sur la gouvernance et les syndicats sur l'emploi

-Les 5 milliards d'euros de synergies visées paraissent ambitieuses pour certains analystes

-Des cadres de Renault pointent les défis de FCA liés aux émissions polluantes

PARIS (Agefi-Dow Jones)--La proposition de Fiat Chrysler (FCA) visant à fusionner avec Renault fait l'objet d'un minutieux examen en France, où le gouvernement, les syndicats et certains cadres du constructeur automobile français se demandent si ce projet sous-valorise Renault et menace des emplois.

Fiat Chrysler souhaite fusionner avec Renault et ainsi créer le troisième constructeur automobile mondial en termes de production, avec une capitalisation boursière d'environ 35 milliards d'euros. Pour mener à bien l'opération, les deux entreprises devraient convaincre l'Etat français et les autres principales parties prenantes au sein de Renault qu'une fusion ne menace pas son statut de symbole national de l'industrie.

Ces préoccupations se profilent alors que le conseil d'administration de Renault se prépare à se prononcer en début de semaine prochaine sur l'opportunité d'entamer des négociations exclusives avec Fiat Chrysler. L'Etat français, premier actionnaire de Renault, et les syndicats disposent de six voix sur 17 au conseil d'administration du constructeur automobile.

Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, tout en estimant que les pourparlers méritaient d'être poursuivis, a exigé des garanties, dont une représentation française au conseil d'administration de la société fusionnée et de lourds investissements dans le développement des batteries électriques en Europe. Le gouvernement souhaite également que la nouvelle société soit adaptée au cadre de l'alliance existant déjà entre Renault, Nissan et Mitsubishi.

Le projet à l'étude chez Nissan

Mercredi, le président de Renault, Jean-Dominique Senard, et le directeur général du groupe, Thierry Bolloré, ont rencontré les directeurs généraux de Nissan et Mitsubishi à Yokohama, au Japon. Ce rendez-vous avait été organisé avant l'annonce du projet de fusion entre le groupe français et Fiat.

Le directeur général de Nissan, Hiroto Saikawa, a déclaré avoir écouté les explications de Jean-Dominique Senard au sujet du projet de rapprochement avec Fiat, mais n'a pas précisé s'il y était favorable ou non.

"Cela viendra plus tard", a affirmé Hiroto Saikawa. "Nous devons, bien évidemment, étudier attentivement quels seraient les avantages spécifiques pour l'activité de Nissan et quelles difficultés il faudrait surmonter", a-t-il ajouté.

Pour toute transaction impliquant Fiat Chrysler et Nissan, le constructeur italo-américain devrait faire valoir les économies de capitaux attendues sur le marché américain auprès de son homologue japonais, a indiqué une personne proche des négociations.

Vers un accord avant l'AG du 12 juin ?

Les dirigeants de Renault et Fiat Chrysler étudient secrètement depuis plusieurs mois des moyens de partager les coûts, ont indiqué des personnes proches du dossier. Mais la proposition de fusion ayant désormais été rendue publique, le temps presse pour les deux groupes. Des personnes impliquées dans les négociations ont souligné que les deux parties cherchaient à conclure un accord avant l'assemblée générale de Renault, prévue le 12 juin.

"Pour l'instant, nous avons le vent en poupe", a déclaré un responsable français. "Dans de telles négociations, plus le temps passe, plus on trouve de difficultés ou de raisons de ne pas conclure d'accord", remarque-t-il toutefois.

Bruno Le Maire a décrit mardi la proposition de Fiat Chrysler comme "une belle opportunité pour Renault et [...] une belle opportunité pour l'industrie automobile européenne", compte tenu de l'ampleur des investissements requis pour faire face à l'évolution du marché vers les véhicules électriques et la conduite autonome.

Doutes sur les synergies et le maintien de l'emploi

L'opération suscite un certain nombre de critiques. L'un des points les plus débattus est de savoir comment Fiat Chrysler compte atteindre un objectif de synergies de 5 milliards d'euros en année pleine, sans fermer d'usines. Ce sujet est particulièrement sensible en Europe où Fiat et Renault disposent tous deux d'une présence industrielle. Renault est absent du marché américain, alors que Fiat-Chrysler y réalise la majeure partie de ses résultats.

Pour Bruno Azière, délégué syndical central CFE-CGC chez Renault, la promesse de ne pas fermer d'usines ne revient pas à une promesse de préservation de l'emploi, car les deux constructeurs pourraient décider de réduire la charge de production de certains sites. La CGT, qui dispose d'un siège au conseil d'administration de Renault, considère quant à elle que l'Etat français doit conserver une "minorité de blocage" de 15% dans le groupe fusionné, afin de garantir le maintien de l'emploi. Or, dans le projet soumis par Fiat Chrysler, la part de l'Etat français serait ramenée à 7,5% et ses droits de vote double seraient annulés.

L'intérêt de la fusion ne repose pas sur des réductions d'effectifs mais plutôt sur des synergies liées au regroupement des achats et à la mutualisation de certaines pièces comme les pare-brises et les roues, tempère une source proche des discussions. Il ne s'agit pas d'une fusion "entre deux entreprises en difficulté ayant besoin de se restructurer", ajoute cette source.

L'objectif de synergies paraît néanmoins ambitieux. "Il y a des choses à faire, mais s'ils parviennent à dégager la moitié des 5 milliards [de synergies envisagées] ce seront des héros à mes yeux", considère Max Warburton, analyste chez Bernstein Research.

La valorisation retenue pour Renault critiquée

D'anciens et d'actuels dirigeants de Renault s'interrogent sur la valorisation retenue dans le projet de Fiat Chrysler. Selon ce projet, le capital de la future entité combinée sera réparti à parts égales entre les actionnaires des deux constructeurs. Fiat Chrysler a annoncé que ses actionnaires recevraient également un dividende de 2,5 milliards d'euros pour compenser l'écart de valorisation entre les des deux sociétés.

Patrick Pélata, ancien directeur général délégué de Renault, a critiqué le fait que le projet de Fiat Chrysler se basait pour valoriser Renault sur le cours du 24 mai, soit un jour après que le titre a atteint un plus bas de six ans en clôture. La capitalisation boursière de Fiat Chrysler s'élevait alors à près de 18 milliards d'euros, contre environ 15 milliards d'euros pour Renault. Cette capitalisation implique une valeur négative d'environ 6 milliards d'euros pour les activités de Renault, si l'on exclut la participation de 43,4% détenue par le groupe dans Nissan, celle de 1,5% dans Daimler et les activités de financement, a expliqué Patrick Pélata dans un entretien. "Ce n'est pas raisonnable", a-t-il asséné.

"Personne n'acceptera ce prix", a déclaré un haut dirigeant de Renault.

Une personne proche de Fiat Chrysler a mis en avant l'activité lucrative de SUV et de pickups du groupe italo-américain aux Etats-Unis et ailleurs. "Si vous êtes actionnaire de Fiat Chrysler, vous apportez des joyaux tels que les marques Jeep et Ram, et en retour, vous recevez une entreprise essentiellement européenne", a fait valoir cette personne.

Prise de contrôle de Renault par Fiat, selon le concurrent PSA

Une note de service diffusée cette semaine aux dirigeants du rival français de Renault, Groupe PSA, qualifiait le projet de "prise de contrôle virtuelle de Renault par Fiat", selon une personne ayant eu connaissance de ce document. Peugeot a organisé des rencontres avec Fiat Chrysler ces derniers mois pour discuter des synergies qui pourraient découler d'un rapprochement, selon des personnes proches du dossier.

Un porte-parole de Peugeot a déclaré que la direction de la stratégie de l'entreprise effectuait régulièrement des analyses à l'intention de la direction sur la base d'informations publiques.

Une personne proche de Fiat Chrysler a affirmé que, même avec le dividende exceptionnel proposé aux actionnaires de la société italo-américaine, l'opération comportait une prime de 10% sur la valorisation de Renault.

Les émissions polluantes de Fiat restent un problème

Certains dirigeants du groupe français alertent également sur le coût du maintien de la flotte de Fiat en conformité avec les normes d'émissions polluantes. Le constructeur automobile italo-américain a récemment conclu un accord avec Tesla pour que les véhicules électriques du groupe américain soient comptabilisés dans sa propre flotte afin de se conformer aux règles de l'Union européenne. Selon les analystes de Jefferies, Fiat Chrysler aurait pu se voir infliger des milliards d'euros d'amendes lorsque la nouvelle réglementation entrera en vigueur en 2020.

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May 30, 2019 09:27 ET (13:27 GMT)