Alistair MacDonald,

The Wall Street Journal


LONDRES (Agefi-Dow Jones)--Les entreprises occidentales présentes en Russie et en Ukraine se préparent à l'impact potentiel des sanctions économiques annoncées contre Moscou sur leurs activités dans ces pays et élaborent des plans d'urgence en cas de conflit armé après l'annonce par le président russe, Vladimir Poutine, du déploiement de troupes dans deux régions séparatistes d'Ukraine.

Les Etats-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont annoncé mardi une série de sanctions contre la Russie, qu'ils ont promis d'intensifier si les troupes avançaient encore en Ukraine. Ces nouvelles mesures pourraient inclure des sanctions contre de grandes entreprises russes et l'élite économique du pays.

Toutefois, de telles initiatives pourraient également compliquer les activités de nombreuses multinationales ayant des activités en Russie et qui s'allient souvent à des entreprises et des hommes d'affaires russes. Les grandes compagnies pétrolières telles que BP, Exxon Mobil, TotalEnergies et Shell ont toutes des investissements substantiels en Russie, tout comme le brasseur danois Carlsberg et le constructeur automobile français Renault.

La taille relativement réduite des économies russe et ukrainienne et les difficultés perçues pour réaliser des affaires dans ces pays signifient que l'exposition des multinationales en dehors du secteur des matières premières est faible. Certaines multinationales occidentales ont néanmoins développé des activités dans ces deux pays.

Les banques en première ligne

Plusieurs grandes banques occidentales, dont Citigroup et JPMorgan, sont présentes en Russie. Si les sanctions occidentales visent des établissements financiers ou des personnes russes, ces banques devront rapidement couper les liens avec eux. Jusqu'à présent, les sanctions adoptées par les Etats-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont été limitées, visant une poignée de petites banques et de personnes. Les paiements transfrontaliers, y compris le service de la dette, pourraient être gelés, ce qui pourrait entraîner le dénouement de transactions parfois complexes et de possibles pertes si, par exemple, les banques se retrouvent avec des créances impayées. Des porte-parole de Citigroup et de JPMorgan n'ont pas souhaité s'exprimer à ce sujet.

De grandes banques européennes, dont Société Générale et UniCredit, qui possèdent des établissements locaux en Russie, pourraient également voir les taux de défaillance augmenter si le rouble russe se déprécie de manière significative et si l'économie s'affaiblit fortement. Une porte-parole de Société Générale a indiqué que les activités de la banque en Russie représentaient environ 2 % des revenus et du bénéfice net du groupe l'année dernière. UniCredit n'a pas répondu à une demande de commentaire.

ArcelorMittal, Danone et Carlsberg exposés à l'Ukraine

En Ukraine, ArcelorMittal exploite l'une des plus grandes aciéries du pays et compte quelque 29.000 salariés et sous-traitants locaux. L'entreprise a engagé 300 millions de dollars d'investissements pour améliorer cette usine. Au début du mois, ArcelorMittal a indiqué avoir mis en place des plans d'urgence en cas d'escalade de la crise russo-ukrainienne.

Carlsberg possède trois brasseries en Ukraine et est le premier vendeur de bière du pays, avec une part de marché de 32%, selon le groupe. Le troisième brasseur mondial a récemment annoncé travailler depuis plusieurs semaines sur des plans d'urgence, mais il a refusé de fournir plus de détails, l'incertitude étant élevée. Carlsberg est également très présent en Russie, où il possède huit brasseries. Les ventes dans ce pays représentent environ 10% du chiffre d'affaires total, selon la société.

Le groupe agroalimentaire français Danone possède deux usines de production en Ukraine, dans le nord et l'est du pays. Le cigarettier British American Tobacco, propriétaire entre autres des marques Pall Mall et Lucky Strike, dispose d'une usine en Ukraine qui emploie environ 1.000 personnes, tandis que le fabricant irlandais de matériaux de construction CRH possède cinq usines de production dans ce pays, où il est présent depuis 1999. Ces trois entreprises ont refusé d'apporter un commentaire pour cet article.

Parallèlement, une entreprise appartenant à la société américaine de capital-investissement NCH Capital cultive environ 300.000 hectares de terres en Ukraine et exporte environ 3 millions de tonnes de cultures par l'intermédiaire d'une société ukrainienne, selon son site internet. NCH, qui possède également des terres en Russie, n'a pas souhaité s'exprimer.

BP, la plus exposée des majors pétrolières et gazières

Les entreprises occidentales avaient été relativement peu touchées par l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et par l'insurrection, soutenue par la Russie, qui avait suivi dans l'est de l'Ukraine. Des responsables américains et européens ont toutefois indiqué que les sanctions seraient cette fois plus sévères que celles qui ont suivi ces événements.

Selon les analystes, la britannique BP est la plus exposée des majors pétrolières et gazières. La société détient une participation de 19,75% dans Rosneft Oil et son directeur général, ainsi que son prédécesseur, siègent au conseil d'administration de la société russe. JPMorgan estime qu'environ 9% de la valeur de l'actif net de BP est exposée à la Russie, contre une moyenne de 5% dans le secteur pétrolier et gazier en Europe.

Sa concurrente Shell détient un intérêt de 27,5% dans un important projet gazier offshore à l'extrême est de la Russie. Ce projet, qui est contrôlé à hauteur de 50% par la société russe Gazprom, fournit environ 4% du marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL).

BP et Shell n'ont pas souhaité apporter de commentaire. Ces dernières semaines, leurs dirigeants ont indiqué qu'ils se conformeraient à toute nouvelle sanction qui pourrait être appliquée. Exxon Mobil et TotalEnergies possèdent également des participations importantes dans des projets énergétiques en Russie. TotalEnergies a refusé de commenter et Exxon n'était pas joignable dans l'immédiat.

Le spécialiste anglo-suisse des matières premières Glencore possède une participation de 10,55% dans EN+ Group, l'actionnaire de contrôle du fabricant d'aluminium Rusal. Glencore détient également une participation inférieure à 1% dans Rosneft.

La semaine dernière, le directeur général de Glencore, Gary Nagle, a indiqué que les enjeux étaient "très insignifiants dans le contexte global" et que la division de trading du groupe, appelée division marketing, pourrait bénéficier d'une invasion russe. Un tel événement "provoquerait de graves perturbations sur certains marchés des matières premières, de graves bouleversements et c'est là que notre marketing prospère vraiment", a déclaré Gary Nagle.

AvtoVAZ, le pari de Renault sur la Russie

En dehors des matières premières, le constructeur automobile Renault est l'une des entreprises les plus exposées au marché russe, via sa filiale AvtoVAZ. La Russie représente environ 8% du bénéfice opérationnel du groupe français, selon les calculs de Citi. En cas d'aggravation de la crise ukrainienne, le principal problème pour le groupe serait de parvenir à livrer à Avtovaz des pièces provenant de l'étranger, a déclaré le directeur général de Renault, Luca de Meo, aux analystes vendredi.

Renault possède deux usines en Russie, dans les villes de Togliatti et Izhevsk. Selon Luca de Meo, les opérations d'Avtovaz sont destinées "à 90%" au marché russe et sont autonomes en termes de financement.

Néanmoins, la Russie est l'un des principaux marchés de Renault. Avec son partenaire japonais Nissan, le constructeur français a parié gros sur le marché automobile russe en 2014 en prenant une participation de contrôle dans AvtoVAZ, propriétaire de la marque Lada.

-Alistair MacDonald, The Wall Street Journal

(Jenny Strasburg et Nick Kostov ont contribué à cet article)

(Version française Valérie Venck) ed: ECH

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February 23, 2022 10:00 ET (15:00 GMT)