La holding de l'entrepreneur milliardaire a dévoilé dans la nuit de lundi à mardi une nouvelle réorganisation en profondeur qui prévoit la scission de sa branche américaine, numéro quatre du câble aux Etats-Unis, ainsi isolée des aléas financiers et de la faiblesse des revenus de ses activités européennes.

Altice USA paiera un dividende exceptionnel de 1,5 milliard de dollars (1,26 milliard d'euros) qui profitera pour l'essentiel à la branche européenne, réorganisée et rebaptisée Altice Europe.

"C'est quasiment comme une rançon de roi", résume un investisseur basé aux Etats-Unis qui suit le groupe. "Vous payez pour être libéré de la maison-mère".

L'action d'Altice en Europe a terminé la séance en hausse de 10,5%, après avoir perdu environ la moitié de sa valeur au cours des douze derniers mois. Aux Etats-Unis, le titre bondissait de 11,57% à 20h19.

Les prêts à effet de levier ("leveraged loans") de la société ont par ailleurs fortement rebondi sur le marché secondaire européen.

Les deux nouvelles entités seront dirigées par des équipes distinctes tandis que Patrick Drahi en conservera le contrôle via sa holding Next et en présidera les conseils d'administration.

Dennis Okhuijsen, l'actuel directeur financier d'Altice, prendra la tête de la branche européenne et Dexter Goei continuera de superviser les activités américaines, Altice restant ainsi pilotée par l'équipe de fidèles qui a accompagné la transformation du groupe en un empire.

Ce management réduit et centralisé fait l'objet de critiques de certains investisseurs pour lesquels l'incapacité du groupe à retenir de nouveaux talents pourrait handicaper sa capacité à réinventer sa stratégie.

"PLUS DE TRANSPARENCE POUR LES INVESTISSEURS"

Les investisseurs se sont massivement délestés de leurs titres Altice au cours du second semestre 2017 en raison d'inquiétudes sur la solidité financière du groupe après des résultats décevants au troisième trimestre, en particulier en France.

Ce plongeon en Bourse a conduit Altice à remercier son directeur général Michel Combes, Patrick Drahi à venir s'expliquer devant les investisseurs et la nouvelle équipe dirigeante à donner la priorité au redressement de la croissance du chiffre d'affaires et à la réduction de la dette qui représente plus du double de ses ventes annuelles.

Altice s'est développé massivement aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe à coup d'acquisitions financées par la dette, amenant son endettement net, de quelque 50 milliards d'euros, à plus de cinq fois son excédent brut d'exploitation (Ebitda).

Altice USA regroupera les câblo-opérateurs américains Suddenlink et Cablevision. Les activités d'Altice Europe seront réparties entre Altice France - SFR Telecom, SFR Media (NextRadioTV, dont BFM TV, RMC, et presse) - Altice International (dont Portugal Telecom, HOT en Israël) et une nouvelle filiale de télévision payante Altice Pay TV.

Les actionnaires d'Altice NV se verront proposer 0,4163 action ordinaire d'Altice USA pour chaque action détenue. Le groupe espère boucler la scission d'ici la fin du deuxième trimestre 2018 après obtention des autorisations nécessaires.

SPÉCULATIONS RELANCÉES EN FRANCE

"La séparation permettra aux deux entités de se focaliser davantage sur les opportunités de création de valeur sur leurs marchés respectifs et assurera une plus grande transparence pour les investisseurs", a expliqué Altice dans un communiqué.

Le groupe a par ailleurs fait état de progrès dans ses efforts pour céder certains actifs non stratégiques, notamment les tours et sa filiale en République dominicaine.

"Altice USA devient beaucoup plus intéressant", estime dans une note Craig Moffett de MoffettNathanson, soulignant que le risque que les actifs américains soient appelés à la rescousse des Européens est désormais écarté.

En outre, le flottant est multiplié par quatre à 42% et l'objectif d'endettement ramené à un ratio de 4,5-5,0 fois l'Ebitda (contre 5,0 à 5,5 fois précédemment).

Aux yeux de certains analystes, la réorganisation d'Altice est susceptible de faire d'Altice Europe une cible potentielle pour les autres opérateurs télécoms français.

"Une cotation séparée d'Altice Europe rend une cession de cet actif plus simple, pour Bouygues ou Iliad par exemple, qui pourraient tous deux envisager des synergies issues d'une consolidation du marché en France", écrivent les analystes de Raymond James dans une note.

Dexter Goei a cependant assuré qu'un tel scénario n'était pas à l'agenda pour le moment.

"Sur le moyen à long terme, je suis certain que cette question se reposera et nous aurons peut-être une réponse différente", a-t-il dit.

(Avec Gwénaëlle Barzic, Blandine Hénault, Benjamin Mallet et Dominique Rodriguez à Paris, Véronique Tison et Benoît Van Overstraeten pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat)

par Mathieu Rosemain et Anjali Athavaley

Valeurs citées dans l'article : Bouygues, Orange, Iliad, Altice, Altice USA Inc