* L'ancien haut fonctionnaire ne mâche pas ses mots

* Une décision "fondamentalement contraire aux intérêts de l'Etat"

* Une compréhension "assez poussée des intérêts de Tapie"

* Le PDG d'Orange refuse de venir témoigner (actualisé avec témoignages supplémentaires)

par Chine Labbé

PARIS, 14 décembre (Reuters) - L'ex-directeur de l'Agence des participations de l'Etat (APE), dont l'hostilité à l'arbitrage Tapie est au coeur des accusations qui pèsent contre Christine Lagarde, s'est dit "choqué" mercredi de la rapidité avec laquelle la décision de ne pas engager de recours contre la sentence a été prise.

L'ancien haut fonctionnaire, désormais associé dans un fonds d'investissement après avoir été directeur du Trésor, n'a pas mâché ses mots contre un arbitrage jugé "extrêmement dangereux", et pour lequel ses services ont "essayé de limiter les dégâts".

Il était cité comme témoin au procès pour négligences de la directrice générale du Fonds monétaire international.

Celle qui était ministre des Finances à l'époque des faits est accusée d'avoir pris une décision "malvenue" allant à l'encontre "de l'avis répété" de l'APE et d'avoir renoncé de manière "précipitée" à exercer un recours contre la sentence.

A l'APE, "nous étions absolument convaincus (...) que cet arbitrage était fondamentalement contraire aux intérêts de l'Etat", a déclaré Bruno Bézard à la barre.

"Ne pas engager de recours était une erreur", a-t-il ajouté, se disant "plus choqué par la rapidité de renonciation au recours que par la rapidité de décision" d'entrer en arbitrage.

"Devant une décision aussi scandaleuse (elle a accordé 403 millions d'euros à l'homme d'affaires avec les intérêts, NDLR), même si nous avions une chance sur 1.000 de gagner, il n'y avait que des avantages, et aucun inconvénient" à tenter le recours.

"HÉMORRAGIE" DES HONORAIRES

Christine Lagarde dit s'être reposée sur son directeur de cabinet, Stéphane Richard, pour la décision d'entrer en arbitrage, mais avoir personnellement étudié de près la question du recours.

Quand, le 28 juillet 2008, elle décide de ne pas s'y opposer, c'est pour faire "cesser l'hémorragie des honoraires" et "mettre un terme" à un contentieux vieux de 15 ans entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais sur la revente d'Adidas, a-t-elle assuré mardi.

Les frais d'avocats s'élevaient, pour la seule année 2005, à 32 millions d'euros pour le Consortium de réalisation (CDR), organisme chargé de liquider les actifs de l'ancienne banque publique, a-t-elle précisé.

Mais cet argument a été mis à mal mercredi par Bruno Bézard. Le dossier Tapie n'était pas le seul, ni le plus onéreux, à générer des frais d'avocats pour le CDR, a-t-il souligné, estimant entre 1,2 et 2,3 millions d'euros les frais annuels pour ce seul dossier.

Interrogé sur la raison pour laquelle il n'a pas, face à une décision lui semblant si contraire aux intérêts de l'Etat, essayé d'obtenir un rendez-vous auprès de la ministre des Finances, il a répondu : "je pense que ça n'aurait servi à rien puisque la décision d'aller à l'arbitrage était prise ou allait être prise."

"Une bonne partie de l'appareil d'Etat allait dans ce sens", a-t-il ajouté, évoquant "les membres de gouvernement, Matignon et la présidence de la République". Nicolas Sarkozy était alors président, et François Fillon, son Premier ministre.

TAPIE DANS LES COULOIRS DU MINISTÈRE

La directrice générale du FMI, qui dit avoir toujours "travaillé en confiance avec ses équipes" et n'avoir reçu "aucune instruction", n'exclut pas d'avoir été "abusée".

Son ex-directeur de cabinet, désormais PDG d'Orange, soupçonné de lui avoir "dissimulé" des éléments "essentiels" du dossier, a refusé de venir témoigner mercredi à son procès.

Tout en assurant ne pas vouloir se "dérober", il a mis en avant, par la voix de son avocat, la "contradiction" entre son statut de témoin devant la CJR et celui de mis en examen dans l'enquête toujours en cours sur l'arbitrage controversé.

Mais pour l'avocat de Christine Lagarde, qui a fait remarquer qu'il se prononçait sur le fond du dossier dans une lettre refusée par la Cour mais diffusée dans la presse, son absence signe sa volonté "d'éviter de répondre" aux questions de la CJR. Deux autres personnes mises en examen comme lui pour escroquerie en bande organisée, ont témoigné mercredi.

Le rôle de Stéphane Richard dans la gestion de l'arbitrage a été au coeur des débats mercredi, malgré son absence. "La façon dont le directeur de cabinet présentait le dossier semblait indiquer une volonté d'aboutir quoi qu'il arrive à un arbitrage dans le cadre d'une compréhension assez poussée des intérêts de Monsieur Tapie", a ainsi déclaré Bruno Bézard, disant avoir perçu des "promiscuités curieuses" dans cette affaire, dès 2007.

"J'ai le souvenir que mes collaborateurs ont pu rencontrer Monsieur Tapie dans les couloirs du ministère, ce qui était un peu inattendu", a-t-il ajouté.

Christine Lagarde a déclaré à plusieurs reprises ne pas avoir eu connaissance de toutes les notes de ses services (notamment de l'APE), ni avoir été au courant de toutes les réunions à ce sujet, y compris à l'Elysée. Son directeur de cabinet, chargé de ce dossier, jouait un rôle de "filtre", a-t-elle confirmé, indiquant qu'il gérait tous les dossiers "micro" quand elle s'occupait des questions "macro".

Un rôle inhabituel, à en croire l'un de ses prédécesseurs aux Finances, Thierry Breton. De son temps, "il n'y avait certainement pas de filtre", a-t-il témoigné à la barre. "Le directeur de cabinet était un chef d'orchestre", a-t-il ajouté, qualifiant le ministre de "patron de l'administration". (édité par Yves Clarisse)