Le conseil d'administration de Credit Suisse, qui s'est réuni jeudi, a réaffirmé son soutien à son président Urs Rohner afin qu'il reste jusqu'au terme de son mandat en avril 2021.

L'affaire qui vaut son poste à Tidjane Thiam trouve son origine dans le départ l'été dernier chez la concurrente UBS de l'ancien directeur de la branche gestion de fortune de Credit Suisse, Iqbal Kahn.

Redoutant que ce banquier star ne débauche d'ex-collaborateurs, Credit Suisse a monté une opération de surveillance, recrutant des détectives privés pour le prendre en filature.

La mission a duré entre le 4 et le 17 septembre, date à laquelle Iqbal Kahn a repéré ces détectives alors qu'il circulait dans Zurich avec son épouse. Sa plainte pour menace et coercition a fait éclater l'affaire, ébranlant un milieu bancaire suisse plus habitué à la discrétion.

Une enquête interne confiée à un cabinet d'avocats par Credit Suisse a innocenté début octobre Tidjane Thiam. Assumant la responsabilité de la filature, son bras droit, Pierre-Olivier Bouée, directeur des opérations, a en revanche été poussé vers la sortie, ainsi que le chef de la sécurité qui dépendait directement de lui.

Le détective privé qui avait coordonné la filature d'Iqbal Kahn s'est suicidé, d'après un avocat de la firme de sécurité privée recrutée pour cette mission.

Au début du mois, le journal suisse SonntagsZeitung a révélé que Pierre-Olivier Bouée avait également fait espionner Greenpeace à la suite d'une intrusion de militants de l'ONG lors d'une assemblée générale des actionnaires en 2017.

L'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) a ouvert en parallèle une enquête, Credit Suisse ayant reconnu avoir également mis sous surveillance son ancien directeur des ressources humaines, Peter Goerke.

D'après plusieurs sources proches de la banque, cette accumulation d'affaires a tendu les relations entre Tidjane Thiam et Urs Rohner.

Il semble peu probable que le départ du banquier franco-ivoirien de 57 ans referme la page de ce chapitre mouvement. Il pourrait même irriter certains investisseurs qui avaient pris sa défense face à Urs Rohner dans la lutte de pouvoir que les deux hommes se sont livrée.

"Une période d'instabilité va s'ensuivre tandis que M. Gottstein tentera de poser les bases d'une croissance future. Nous anticipons du mécontentement parmi les investisseurs après ce changement, les retombées restant inconnues à ce stade", écrivent les analystes de KBW.

GOOD COP, BAD COP

A la Bourse de Zurich, l'action Credit Suisse, qui avait ouvert en baisse de 4,3%, cédait encore 2,19% vers 12h15 GMT plus forte baisse d'une cote globalement quasiment stable (-0,2%).

Dans un entretien à la radio alémanique SRF, Urs Rohner, qui a démenti au passage toute lutte de pouvoir ave Tidjane Thiam, a souligné qu'il avait parlé avec de nombreux actionnaires de la banque, y compris des gros actionnaires. "Nombre d'entre eux m'ont confirmé qu'ils soutenaient la décision du conseil d'administration", a-t-il ajouté.

Tidjane Thiam et Pierre-Olivier Bouée se sont connus chez McKinsey et leurs carrières ont suivi des cours très proches, passant tous deux chez Aviva et Prudential avant de rejoindre Credit Suisse. Au moment de la démission de Pierre-Olivier Bouée, une source connaissant bien les deux hommes le décrivait comme le "bad cop" du tandem, Tidjane Thiam étant le "good cop".

Tidjane Thiam, recruté en 2015 par Credit Suisse, est l'architecte d'une vaste réorganisation de l'établissement, qu'il a réorienté vers la gestion de fortune.

Dans un communiqué publié vendredi, la banque précise que sa démission prendra effet le 14 février prochain dans la foulée de la publication des résultats annuels de la société.

"Je n'avais aucune connaissance de la surveillance de deux anciens collègues", déclare Tidjane Thiam dans ce communiqué, évoquant les cas Iqbal et Goerke. Reconnaissant que cette filature a "sans aucun doute perturbé Credit Suisse, provoqué de l'angoisse et fait du tort", il "déplore que cela se soit passé alors que ça n'aurait jamais dû être le cas".

Son successeur Thomas Gottstein a fait toute sa carrière dans le secteur bancaire, d'abord chez UBS (1990-1999) puis au sein de Credit Suisse, alternant les postes entre Londres et Zurich.

(John Miller avec Brenna Hughes Neghaiwi et Michael Shields; version française Bertrand Boucey et Henri-Pierre André, édité par Jean-Michel Bélot)