L'Italie, où Iliad prévoit de débarquer d'ici un an, marquera la première offensive du groupe à l'étranger et constituera un test majeur pour son fondateur et actionnaire majoritaire, le milliardaire Xavier Niel.

Free Mobile avait remporté un succès quasi instantané en France il y a cinq ans avec des tarifs de 50% à 80% moins chers que ceux des opérateurs historiques qu'il avait accusés d'escroquer les consommateurs.

"On se fait de la marge avec deux euros, vous vous faites avoir", avait déclaré Xavier Niel lors de la conférence de presse de lancement de Free Mobile en janvier 2012.

Selon l'une des sources, le marché italien est similaire.

"Vous avez trois opérateurs qui ne se préoccupent pas des Italiens", explique une des sources. "Les mêmes causes produisent les mêmes effets."

Iliad estime que ses offres à prix cassés lui permettront d'arracher 10% du marché italien en deux ou trois ans, avec pour objectif d'atteindre 25%, a dit l'une des sources.

En France, Free Mobile a accumulé 18% de parts de marché à fin 2016, soit 12,7 millions de clients. Ses concurrents ont riposté en baissant leurs tarifs, entraînant une chute de 41% du revenu moyen par abonné (Arpu) entre la fin 2011 et le début 2017, selon les estimations de GSMA Intelligence.

La marge d'Iliad est au plus haut depuis le lancement de Free Mobile, malgré un investissement de plus de 1,2 milliard d'euros pour améliorer sa couverture.

OFFRES PLUS TRANSPARENTES

Iliad va chercher à s'attirer les faveurs des Italiens avec des offres plus transparentes que les forfaits mensuels classiques aux modalités parfois opaques, comme ces contrats prépayés mensuels courant sur 28 jours au lieu de 30, expliquent les sources.

"Il faut qu'ils frappent un grand coup", estime Agathe Martin, analyste chez Exane BNP Paribas. "Pourquoi pas un forfait gratuit au départ ou les six premiers mois offerts ?"

Free Mobile a fait des appels et SMS illimités la nouvelle norme en France et Nicolas Didio, analyste chez Berenberg, se dit convaincu qu'il saura révolutionner le marché italien.

"Je suis convaincu qu'Iliad va réussir", a-t-il dit. "Ils ont été très bons pour identifier les manques du marché et ils appuieront sur les faiblesses de leurs concurrents et la frustration des clients avec des campagnes marketing choc."

Mais les opérateurs italiens, Telecom Italia, Vodafone et le nouvel ensemble Wind-3 Italia, qui contrôlent chacun environ un tiers du marché, ne vont pas rester les bras croisés.

Le leader du marché, Telecom Italia, lance un opérateur low cost baptisé Kena Mobile à destination des clients ne voulant payer "que ce dont ils ont besoin" afin de protéger le positionnement premium de sa principale marque, TIM.

"Nous sommes prêts (...) à contre-attaquer avec une stratégie sur le segment économique du marché, tout en accélérant TIM sur la convergence et la qualité", a déclaré Flavio Cattaneo, administrateur délégué de Telecom Italia.

PAS COMME LA FRANCE

Le directeur exécutif de Vodafone, Vittorio Colao, a récemment dit à des journalistes que l'opérateur britannique prenait Iliad au sérieux et "s'était bien préparé".

"Le marché italien compte déjà parmi les plus concurrentiels du monde et nous sommes habitués aux pressions sur les prix", a estimé de son côté Maximo Ibarra, administrateur délégué de Wind Tre, en mars.

"Nous ne sommes pas inquiets (...) même si nous ne voulons ni sous-estimer ni exagérer l'impact d'un nouveau concurrent."

En Italie, ont indiqué les sources, Iliad compte se lancer dans un premier temps dans la téléphonie mobile avant de s'attaquer au marché du fixe et d'internet.

Mais il pourrait avoir du mal à répliquer son succès français. Alors qu'en France, Free était déjà connu pour avoir révolutionné l'internet fixe à haut débit en 2002, Xavier Niel partira de zéro en Italie.

Il disposera en outre de moins de marges de manoeuvre pour casser les prix dans un marché italien dominé par des contrats prépayés à faibles marges, au contraire de la France où quasiment tous les clients optent pour des forfaits mensuels.

"Iliad pourrait s'adjuger une confortable part de marché mais on ignore combien de temps il lui faudra et ce que cela lui coûtera", note David Marcus, directeur général du fonds Evermore Global Advisors, investi dans Telecom Italia.

Iliad ne pourra pas compter non plus sur un réseau de distribution en Italie, où la législation anti-terroriste oblige tout acquéreur d'une carte SIM à être identifié par une pièce d'identité, freinant le recrutement de nouveaux clients.

Une porte-parole d'Iliad s'est refusée à tout commentaire.

BESOIN DE SERVICES

Iliad a indiqué qu'il consacrerait environ un milliard d'euros à l'acquisition de fréquences, dont la moitié à CK Hutchison Holdings et VEON dans le cadre des conditions liées à la concurrence pour boucler la fusion de leurs opérateurs respectifs, 3 Italia et Wind.

Le groupe français espère croître rapidement sans trop dépenser dans un premier temps, puisque son accord de fréquences avec Wind et 3 Italia implique qu'il ne paiera que s'il recrute des clients, estime l'analyste de Berenberg.

Iliad compte aussi sur le fait que beaucoup d'Italiens ont plus d'une carte SIM, ce qui signifie que l'Arpu, traditionnel baromètre du marché, ne reflète pas totalement l'opportunité que représente l'Italie, a souligné la seconde source.

Mais quels que soient ses tarifs, si le service ne suit pas, Iliad aura du mal à percer en Italie, selon des consommateurs.

"Je voyage beaucoup pour mon travail et une bonne couverture de réseau est plus importante pour moi que le prix", estime ainsi Giacomo Bianchi, homme d'affaires à Milan, pour qui "ils devront proposer beaucoup plus que des tarifs plus bas pour convaincre".

(Cyril Altmeyer et Matthieu Protard pour le service français, édité par Pascale Denis)

par Mathieu Rosemain, Gwénaëlle Barzic et Sophie Sassard