Barcelone (awp/afp) - Leader européen des tours de communication, Cellnex a connu ces dernières années une ascension spectaculaire, à coup d'acquisitions. Mais le fort endettement du groupe espagnol, chahuté en Bourse ces derniers mois, l'oblige à revoir désormais sa stratégie.

Trois milliards d'euros de capitalisation à son entrée en Bourse en 2015, 26 milliards aujourd'hui: peu connue du grand public, l'ex-filiale du gestionnaire d'autoroutes espagnol Abertis s'est imposée en seulement huit ans comme un acteur incontournable de la téléphonie mobile.

Le fruit d'une politique ambitieuse qui a conduit le groupe de Barcelone à acquérir "de nombreuses entreprises et infrastructures de télécommunications" un peu partout en Europe, souligne auprès de l'AFP Jordi Nin, professeur à l'école de commerce Esade.

Depuis 2015, Cellnex a déboursé 36 milliards d'euros, principalement en France, en Italie et au Royaume-Uni, pour acheter des tours de communication - ces pylônes sur lesquels reposent les antennes relais nécessaires au fonctionnement des téléphones mobiles.

Une frénésie favorisée par le besoin en argent frais des opérateurs qui, pour se désendetter et financer leurs investissements dans la fibre optique ou la 5G, ont fait le choix de revendre leurs parcs de pylônes et d'en devenir locataires.

Le chiffre d'affaires du géant espagnol n'a ainsi cessé de grimper, jusqu'à atteindre 3,5 milliards d'euros en 2022 (+38% sur un an), selon les résultats publiés mercredi par l'entreprise, satisfaite d'avoir "renforcé" sa position de "leader" sur le marché européen.

Rumeur d'OPA

Derrière cette "success-story" se cache pourtant une réalité plus nuancée. Ces derniers mois, les motifs d'inquiétude se sont en effet accumulés pour le numéro un européen des "TowerCo" (sociétés de tours télécoms), fort d'un portefeuille de 111.000 pylônes dans douze pays.

En cause principalement: l'endettement de l'entreprise, qui a atteint 16,9 milliards d'euros fin 2022, à cause de sa boulimie d'acquisitions. Un poids financier qui l'oblige à rembourser de grosses échéances et pèse sur sa rentabilité.

En 2022, Cellnex a ainsi essuyé 297 millions d'euros de perte nette. Un montant en léger reflux par rapport à 2021 (363 millions d'euros) mais néanmoins préoccupant, d'autant que le groupe n'a plus dégagé de bénéfices depuis 2017.

Signe de fragilité supplémentaire, le géant des TowerCo, fortement chahuté en Bourse l'an dernier, a fait l'objet en janvier d'une rumeur d'OPA de la part de son concurrent American Tower, allié au fonds canadien Brookfield Asset Management.

Cette opération, démentie par l'intéressé, est jugée peu probable à court terme, Madrid ayant instauré un "bouclier anti-OPA" pour contrôler l'acquisition par des fonds étrangers de groupes espagnols stratégiques. Mais elle confirme que la donne a changé.

"Nouveau chapitre"

"Le contexte économique et financier nous oblige à ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire" du groupe, fondé sur la "consolidation" et non sur l'acquisition de nouveaux actifs, a reconnu mi-janvier le directeur général de Cellnex, Tobias Martinez.

Un virage stratégique qui se fera... sans lui: architecte de l'ascension du groupe depuis sa cotation, il a en effet annoncé à cette occasion sa démission, censée prendre effet en juin.

Pas de quoi s'inquiéter pour autant, selon Cellnex, qui a affiché cette semaine son optimisme au Salon mondial du mobile de Barcelone, avec la présentation de plusieurs projets pilotes autour de la 5G ou de la fibre optique.

La "croissance organique" du groupe est "solide" et devrait permettre un retour à la rentabilité d'ici "trois ou quatre ans", a assuré mercredi Tobias Martinez, qui n'a pas écarté une ouverture du capital "de certaines filiales" de Cellnex pour accélérer sa consolidation.

Malgré les difficultés des derniers mois, le groupe "présente de solides fondamentaux" et opère sur un marché "où la demande est clairement croissante", abonde Juan Moreno Martinez, analyste chez Bankinter, qui voit d'un bon oeil le changement de stratégie opéré par l'entreprise.

Il s'agit d'une "approche plus conservatrice" mais qui va permettre de "réduire progressivement sa dette", ajoute-t-il.

Une analyse partagée par Jordi Nin, qui relativise les difficultés auxquelles fait face l'entreprise. Cellnex a une gestion "active" de sa dette et "dispose de flux de trésorerie stables et récurrents" grâce à ses contrats de long terme avec les opérateurs, souligne le chercheur.

afp/ol