C’est quoi concrètement ce fameux Merge ? 

Pour rappel, la blockchain Ethereum peut-être structurellement considérée comme une infrastructure technique qui permet à de nombreuses applications décentralisées (Dapps) d’exister et de fonctionner. Par analogie, nous pourrions imaginer Ethereum comme Internet et les applications décentralisées comme Facebook, Amazon, Netflix etc. Sans Internet elles ne pourraient pas fonctionner. Et bien en suivant cette logique, les applications décentralisées ne pourraient pas fonctionner sans Ethereum (bien qu’il existe d’autres blockchains permettant de faire fonctionner des Dapps, cette analogie sert à illustrer l’utilité d’Ethereum). 

De la preuve de travail…

A l’heure actuelle, et pour encore quelques jours, Ethereum fonctionne avec le mécanisme de consensus de preuve de travail (Proof-of-Work) au même titre que Bitcoin. L’une des caractéristiques les plus controversées de ce modèle de consensus est sans nul doute sa réputation environnementale. Typiquement, Bitcoin consomme à l’heure actuelle un peu plus de 94,3 TWh par an, soit un peu moins que la consommation d'électricité annuelle des Pays-Bas (105 TWh). C’est aussi moins que la seule consommation d’énergie des réfrigérateurs et congélateurs résidentiels américains qui s’élève en 2021 à 104 TWh. De son côté, Ethereum consomme 45 TWh par an à l’heure actuelle.

Cette consommation d'électricité provient justement de ce mécanisme de Proof-of-Work qui implique un calcul mathématique complexe et énergivore pour valider et sécuriser les transactions. Un processus communément appelé “minage”. Pour effectuer cette activité, bien évidemment les mineurs laissent de côté les pioches et les chariots d’antan pour les troquer contre des serveurs géants pouvant s’étendre sur plusieurs hangars. Des hangars constitués de machines connectés à un nœud sur le réseau qui résolvent des équations complexes basées sur des algorithmes cryptographiques. Et bien avec The Merge, et donc du passage au Proof-of-Stake (Preuve d’enjeu), ces mineurs sont exclus. Bien qu’ils pourront se consoler sur Ethereum Classic (une division d’Ethereum en deux qui a eu lieu en 2016) ou d’une éventuelle nouvelle scission en deux de la blockchain au moment de la fusion. D’ailleurs, certains souhaitent conserver le consensus de preuve de travail par minage après The Merge car ils y voient naturellement un intérêt financier à miner de l’ether (17 milliards de dollars générés sur Ethereum en 2021).

… à la preuve d’enjeu. 

La fusion d’Ethereum (d’où The Merge) de la preuve de travail à la preuve d’enjeu va très concrètement faire fusionner deux couches technologiques qui combinera la couche d'exécution actuelle (sous preuve de travail) avec une nouvelle couche de consensus appelée “Beacon Chain” (sous preuve d’enjeu). 

Schéma de The Merge
Ethereum.org

Lorsque la fusion va se produire (Consensus Layer et Execution Layer dans le graphique ci-dessus) la blockchain Ethereum devrait théoriquement continuer à fonctionner normalement, sauf qu’elle fonctionnera exclusivement sous la preuve d’enjeu. C’est un peu comme si une voiture devait passer d’un moteur thermique à un moteur électrique tout en continuant de rouler. Enfin nous pourrions dire que les mécanos 3.0 ont 12 minutes pour effectuer le changement et corriger les éventuelles bogues. Bien que, si plusieurs problèmes techniques apparaissent, il est probable que ce délai soit prolongé.  Mais cette fusion soulève plusieurs enjeux : 

La sécurité du réseau 

Comme évoqué précédemment, Ethereum ne sera plus sécurisé par des mineurs dotés d’ordinateurs ultrasophistiqués résolvant des calculs complexes car ce processus est l’essence même de la preuve de travail. Dans le cadre de la preuve d’enjeu, les mineurs cèdent leur place aux validateurs, parfois appelés “participants”. Ainsi ces validateurs mettent “en jeu” leurs actifs ETH avec d’autres validateurs pour sécuriser le réseau. C’est donc la valeur économique des ETH, ou l’accès au capital, qui prend le relai sur la débauche énergétique des mineurs. Autrement dit, plus une entité engage du capital, plus la probabilité de valider des transactions augmente, plus le rendement est élevé. Par exemple, il sera nécessaire de détenir 32 ETH (au cours actuel 48 000$) pour participer de manière indépendante en tant que validateur. Ce qui constitue une barrière élevée à l'entrée pour la plupart de la communauté. Mais ce chiffre n'est pas figé. Il ne restera probablement pas gravé dans le marbre ad vitam aeternam. Puis les validateurs pourront se regrouper en pool pour constituer un capital de 32 ETH et donc participer au système en mutualisant les ressources. 

Mais cela laisse supposer que les acteurs détenant le plus de capital seront ceux qui valideront la majorité des transactions. Autrement dit, le risque de la centralisation plane au-dessus de ce modèle de consensus, notamment lorsqu’on sait que 66% des ETH qui sont bloqués/verrouillés dans des contrats de dépôt sur la “Beacon Chain" proviennent d’entités centralisés à l’instar de Lido, Coinbase, Kraken, Binance et consorts.

Composition des dépositaires sur la Beacon Chain
Dune Analytics

D’un côté, certains experts estiment qu’en permettant de devenir validateur par la simple détention du capital, plus d’acteurs pourront participer à la décentralisation du réseau. Effectivement, il ne sera pas nécessaire de faire tourner des machines énergivores 24/24h et 7/7j mais juste verrouiller ses actifs et devenir ainsi validateur. De l’autre, certains pensent que les plus gros détenteurs d’ETH deviendront inévitablement de plus en plus gros jusqu’à, peut-être, mettre à mal la sécurité du réseau. 

Dans un écosystème qui prône et accorde une grande valeur à la décentralisation, au système trustless et à la confidentialité, cette centralisation laisse perplexe bien que nous tirerons des conclusions post-fusion. Une centralisation des ethers que nous avions évoqué dans l’article : Ethereum : ça se bouscule au portillon.

Une consommation d’énergie réduite à néant et c’est tout

Avec cette fusion du PoW au PoS, l’empreinte carbonne d’Ethereum devrait être réduite considérablement. Comme les validateurs n’utilisent pas d’ordinateurs surpuissants qui consomment une quantité astronomique d'électricité, la consommation d'énergie devrait baisser de 99,95%. Pas plus mal par les temps qui courent. Réduire la consommation d'électricité est l’une des conséquences principales de la fusion, mais contrairement aux idées reçues, la fusion n’étendra en rien l’évolutivité de la blockchain Ethereum en termes de vitesse et de coût de transaction. Autrement dit, post-fusion, nous verrons Ethereum traiter encore entre 13 et 20 transactions par seconde avec, selon les conditions de marché, des frais de transactions qui peuvent toujours affoler les compteurs. Ainsi, les conditions d'utilisation pour le simple utilisateur ne changeront pas après la fusion. 

Quand est-ce qu’Ethereum deviendra plus évolutif ? 

Le Graal de tout réseau Web3 est d’atteindre le trilemme des blockchains, d’ailleurs évoqué par Vitalik Buterin lui-même : scalabilité, décentralisation et sécurité. Si Bitcoin et Ethereum assurent, notamment grâce à la preuve de travail, la sécurité et la décentralisation de leur réseau, la scalabilité n’est pas au rendez-vous. Avec cinq transactions par seconde pour Bitcoin et entre 13 et 20 pour Ethereum, nous comprenons que l’adoption massive de ces réseaux est compromise, d’une part par la lenteur d’exécution, et de l’autre, par l’augmentation des coûts de transaction lorsqu’ils sont saturés. 

Pour être plus scalable, d'autres blockchains comme Solana, Avalanche, Binance Smart Chain (BSC) entre autres ont mis l’accent sur la scalabilité de leur réseau en dépit d’une décentralisation et d'une sécurité irréprochables. Celles-ci proposent, en utilisant la preuve d’enjeu, une vitesse de transaction supérieure à 20 000 par seconde et des frais parfois inférieurs à un dollar pour effectuer une opération. En revanche, la décentralisation fait pâle figure pour un bon nombre de ces blockchains ultra-performantes. Typiquement, pour la BSC, 21 validateurs s’occupent de gérer l’ensemble des transactions sur son réseau. Une blockchain qui possède un nombre restreint de validateurs s'expose au risque de corruption et donc pas conséquent à une vulnérabilité du réseau face à des acteurs malveillants. Et c’est l’essence même de la décentralisation qui est si importante aux yeux de la communauté crypto qui n’est pas réellement respectée. 

Comme évoqué précédemment, et malgré qu’elle passe sous preuve d’enjeu, Ethereum ne deviendra pas directement scalable post-fusion. En revanche, c'est dans les plans du cofondateur, Vitalik Buterin, pour 2023. 

Pour ce faire, Ethereum s’étend, d’une part, verticalement sur différentes couches technologiques (comme Arbitrum, Polygon, Optimism, zkSync…) qui permettent, pour faire simple, de regrouper des centaines de transactions en une seule opération qui est ensuite soumise pour exécution finale sur la blockchain Ethereum. Ces différentes couches (souvent appelées Layer 2) peuvent traiter plusieurs milliers de transactions par seconde pour un coût très faible tout en s’appuyant sur la sécurité du réseau Ethereum. 

D’autre part, de manière horizontale cette fois-ci, la fusion sera suivie d’une autre mise à niveau appelée The Surge. Celle-ci introduira la technologie du “sharding” et contribuera à augmenter la scalabilité d’Ethereum nativement en divisant la chaîne principale en plusieurs chaînes plus petites appelées “shards”. Nous avons exploré largement cette technologie de sharding dans cet article : Near peut-elle faire de l’ombre à Ethereum ? 

Infographie : sharding de la blockchain principale en quatre
Source : Medium

Ce sharding qui devrait, d’après Vitalik Buterin, avoir lieu en 2023 permettra d’améliorer la scalabilité d’Ethereum d’un facteur 100 000. Cette fois-ci, l’utilisateur devrait pouvoir ressentir une nette amélioration dans son expérience d’utilisation. Mais ce n’est pas fini. Après The Surge, Ethereum verra plusieurs mises à niveau s’effectuer : The Verge, The Purge et The Splurge qui devraient permettre d’améliorer le stockage des données en réduisant les besoins d’espace de mémoire des validateurs. Ce qui permettra à terme de limiter les épisodes de congestion du réseau sur Ethereum et donc d’atténuer les risques d’explosion des frais de transaction. 

En définitive, la fusion devrait avoir officiellement lieu entre le 13 et le 15 septembre et ne nécessitera, que ce soit pour des portefeuilles auto-hébergés ou des portefeuilles sur des plateformes d’échange de cryptomonnaies, aucune action de la part de l’utilisateur pour passer d’un modèle de consensus à l’autre. Si vous recevez donc un email qui mentionne que vous devez envoyer vos ETH vers une autre adresse pour obtenir les “nouveaux ETH”, n’en prenez évidemment pas compte. Sinon vous ne reverrez jamais la couleur de vos authentiques ethers. Finalement, il n’y aura plus qu’à observer l'exécution de cette fusion sur fond de spéculation financière et idéologique. 

12 minutes qui pourraient néanmoins marquer le début d'une toute nouvelle ère dans le Web3. Les bitcoiners maximalistes diront le contraire. Nous pouvons en tout cas d’ores et déjà dire qu’il y aura beaucoup d’agitation autour de cette date sur Ethereum, que la fusion soit une franche réussite ou un échec cuisant. Comptez-sur moi pour faire le bilan de The Merge après cette fusion passionnante.