• Investissement et Marchés
Aperçus des marchés
Le début de la fin d'une époque pour ce qui est des obligations
Auteur :
Le 6 avril 2021
Imprimer

En 1982, Pierre Trudeau était premier ministre du Canada. Les séries télévisées M*A*S*H et Dallas battaient leur plein. Le premier ordinateur portable offert à des fins commerciales, pesant près de 11 kg, faisait son entrée sur le marché. Motorola en était à un an du lancement de son tout premier téléphone cellulaire, pour un prix de détail suggéré de 4 000 $US. Par ailleurs, il allait falloir attendre encore sept ans avant que Sir Tim Berners Lee invente le « World Wide Web ». Nous pourrions poursuivre cette liste d'exemples simplistes, mais le message est clair : bien des choses ont changé en quatre décennies. Pourtant, en dépit des transformations culturelles, sociales, technologiques et politiques (même si un membre de la famille Trudeau est aujourd'hui encore au pouvoir au Canada), un aspect reste inchangé pour les investisseurs : à long terme, les cours des obligations ont continué de grimper, tandis que leurs taux de rendement ont continué de décliner.

C'est à l'économiste Herbert Stein que l'on doit la célèbre loi suivante : « Si quelque chose ne peut pas durer éternellement, cela cessera. » Le marché obligataire haussier, qui s'étend depuis les années 1980 jusqu'à aujourd'hui, constitue peut-être l'un des points les plus remarquables de l'histoire des marchés des capitaux. Ce marché haussier s'éternise, cela ne fait aucun doute. Mais il n'a pas pour autant encore pris officiellement fin, et ce, malgré la baisse cyclique qui s'est installée, à l'heure où l'économie se remet des effets de la pandémie de COVID-19. La remontée cyclique des taux de rendement est l'occasion de se demander quand la loi de Stein se vérifiera-t-elle pour le marché obligataire haussier à long terme : après tout, les taux ne peuvent pas continuer à baisser éternellement; leur chute s'arrêtera bien à un moment donné. À ce propos, deux problèmes se dessinent : tout d'abord, les taux ont considérablement chuté et les taux ultra-bas ne sont pas viables; deuxièmement, les priorités de la Réserve fédérale américaine (Fed) ont radicalement changé entre le début des années 1980, sous la direction de Paul Volcker, et la politique actuelle menée par Jerome Powell.

L'environnement des taux à l'époque de Paul Volcker semble aujourd'hui presque irréel : dans les principales économies du monde entier, les taux de rendement obligataires atteignaient, au début des années 1980, des niveaux sans aucun précédent, c'est-à-dire qu'ils avoisinaient les 20 % pour les obligations à court terme et les 15 % pour les obligations à long terme, selon des données de Bloomberg. Voilà donc comment est né le marché obligataire haussier le plus remarquable de l'histoire : il a débuté avec les taux les plus élevés qui soient. Regardons toutefois où en sont ces taux aujourd'hui : comme le montrent là encore des données de Bloomberg, à la fin de l'année dernière, les titres de créance à rendement négatif ont dépassé les 18 000 milliards $US dans le monde, ce qui représente plus d'un quart de toutes les créances « de qualité ». À vrai dire, l'émission d'obligations par les gouvernements dans le cadre de la lutte contre la COVID19 a permis d'améliorer ce niveau par rapport au début de l'année 2020, où les obligations assorties d'un taux de rendement inférieur à 0 % représentaient 30 % du marché. Les taux de financement à un jour établis par les banques centrales restent négatifs dans plusieurs pays, y compris au sein de l'Union européenne, au Japon, au Danemark et en Suisse.

Historique des taux de rendement des obligations américaines à 10 ans

Source : Trésor et Réserve fédérale des États-Unis

Certes, il peut y avoir des raisons de justifier des taux négatifs et les investisseurs peuvent, dans certains cas, en tirer des rendements. Toutefois, cela ne suffit pas à invalider un fait très simple : les taux négatifs sont contraires au fonctionnement normal de l'économie. Le fait de payer une personne ou une entité pour qu'elle emprunte de l'argent n'est en aucun cas viable à long terme. Face à l'illogisme fondamental de cette situation et à la proportion colossale d'obligations et de marchés à un jour qui sont passés à des taux de rendement négatifs, on peut raisonnablement penser qu'on en est à la fin de la chute des taux, plutôt qu'au début. Les rendements négatifs ne peuvent pas durer éternellement; ils prendront donc fin tôt ou tard.

Bien évidemment, ces revirements de tendances en matière de taux de rendement obligataires ne se produisent pas en vase clos : les politiques des banques centrales jouent un rôle déterminant, avec en premier lieu celle de la Fed. Rappelons que la Fed a un double mandat : celui de maximiser l'emploi (avec, dans les faits, l'objectif de maximiser la production économique) et celui de maintenir l'inflation à un niveau modéré. Faisons un détour en 1979, lorsque Paul Volcker a pris la direction de la Fed : comme l'économie américaine venait de traverser près de quinze années d'inflation malsaine, M. Volcker décida de se concentrer sur la lutte contre l'inflation, au détriment de l'autre mandat de la Réserve fédérale. Sous l'égide de M. Volcker, la Fed a fait remonter les taux afin de contrer l'inflation, une mesure qui a certes contribué à l'apparition d'une récession au début des années 1980 et à une flambée du chômage, mais qui a finalement porté ses fruits, dans la mesure où M. Volcker est parvenu à limiter l'inflation au moyen de taux obligataires historiquement élevés et qu'il a initié un marché obligataire haussier qui dure maintenant depuis près de 40 ans.

Revenons à aujourd'hui et au nouveau régime de la Fed instauré par Jerome Powell. En adoptant une « cible d'inflation moyenne » l'été dernier, la Fed a laissé entendre qu'elle ne se soucie plus autant qu'avant de l'inflation. Elle se concentre davantage sur la maximisation de la production et de l'emploi, surtout parce que cela fait deux décennies que la politique monétaire peine à atteindre cet objectif. À l'inverse de la démarche adoptée par M. Volcker, qui avait délaissé la production et l'emploi au profit de la lutte contre l'inflation, Jerome Powell pourrait bien négliger les questions liées à l'inflation afin de stimuler la production et la création d'emplois. Dans les faits, cela revient à mettre entre parenthèses l'un des deux mandats de la Fed pour régler le problème du second. Une telle stratégie devrait avoir des répercussions à l'avenir et, si la Fed réussit à réaliser son plan, cela pourrait grandement contribuer à inverser potentiellement la tendance. On peut donc légitimement se poser la question suivante : M. Powell est-il en train faire des préparatifs en prévision d'un marché obligataire baissier à long terme, plutôt que du simple prolongement du marché baissier cyclique que nous connaissons actuellement?

Nous ne voulons pas insinuer qu'un marché baissier à long terme est imminent. Une telle tendance ne s'installe habituellement pas de façon abrupte. Si l'on examine les variations à long terme du marché obligataire, soit au cours des derniers siècles, les taux de rendement repartent à la hausse de façon très progressive après une période de creux. Une évolution graduelle semblerait logique compte tenu du cycle actuel : l'endettement est tel que l'économie mondiale ne peut tout simplement pas permettre un retour rapide à des taux nettement plus élevés; voilà pourquoi la faiblesse des taux devrait vraisemblablement se maintenir pendant encore des années. D'autres facteurs tels que l'évolution démographique et la déflation induite par le secteur des technologies pourraient également continuer de peser sur les taux de rendement obligataires. À noter que nous ne nous rendrons compte qu'à posteriori qu'un marché baissier à long terme a débuté. Il faudra plusieurs années d'une inflation invariablement supérieure à 2 % pour affirmer en toute fiabilité que la tendance s'est inversée. Autre indicateur, la courbe en U des taux de rendement obligataires, atteignant un creux pendant plusieurs années, qui traduit historiquement un changement durable sur les marchés des obligations. Plus important encore, les niveaux d'endettement doivent commencer à reculer durablement pour que les taux de rendement puissent augmenter à long terme.

En dépit de tout cela, il nous paraît prudent de noter que des éléments sont peu à peu à l'œuvre et qu'ils pourraient annoncer l'avènement futur d'un marché obligataire baissier à long terme. En effet, il paraît peu probable que les taux chutent beaucoup plus bas. Quant aux taux négatifs, ils ne sont pas viables. La Fed s'est montrée plus tolérante vis-à-vis du risque d'inflation, afin de prioriser la production et l'emploi. Il ne s'agit certes pas de garanties, mais tout du moins de signaux annonciateurs d'une hausse des taux. Un marché obligataire baissier à long terme ne s'installera pas du jour au lendemain, et cela ne devrait pas avoir lieu prochainement, selon nous, mais il finira par se manifester. À l'avenir, il sera donc primordial - pour générer des rendements sur les marchés des capitaux - de surveiller le moment où cela se produira et quelle en sera ampleur.

David Stonehouse est vice-président principal et chef des investissements nord-américains et spécialisés à Placements AGF Inc. Il contribue régulièrement à Perspectives AGF.

Pour en savoir plus sur nos compétences en matière de titres à revenu fixe, veuillezcliquer ici.

Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l'auteur et ne représentent pas nécessairement les opinions d'AGF, de ses filiales et de toute autre société apparentée ou affiliée, et ne peuvent être associés à aucun fonds ni à aucune stratégie d'investissement.

Les commentaires que renferme le présent document sont fournis à titre de renseignement d'ordre général et sont fondés sur de l'information disponible au 25 mars 2021. Ils ne devraient pas être considérés comme des conseils en matière de placement, une offre ou une sollicitation d'achat ou de vente de valeurs mobilières. Nous avons pris les mesures nécessaires pour nous assurer de l'exactitude de ces commentaires au moment de leur publication, mais cette exactitude n'est pas garantie. Nous invitons les investisseurs à consulter un professionnel des placements.

Placements AGF est un groupe de filiales en propriété exclusive de La Société de Gestion AGF Limitée, un émetteur assujetti au Canada. Les filiales de Placements AGF sont Placements AGF Inc. (« PAGFI »), AGF Investments America Inc. (« AGFA »), AGF Investments LLC (« AGFUS ») et AGF International Advisors Company Limited (« AGFIA »). AGFA et AGFUS sont inscrites aux États-Unis à titre de conseillers. PAGFI est inscrite à titre de gestionnaire de portefeuille auprès des commissions de valeurs mobilières à travers le Canada. AGFIA est réglementée par la Central Bank of Ireland et est inscrite auprès de l'Australian Securities & Investments Commission. Les filiales faisant partie de Placements AGF gèrent plusieurs mandats comprenant des actions, des titres à revenu fixe et des éléments d'actif équilibrés.

MC Le logo « AGF » est une marque de commerce de La Société de Gestion AGF Limitée utilisée aux termes de licences.

Au sujet de La Société de Gestion AGF Limitée

Fondée en 1957, La Société de Gestion AGF Limitée (AGF) est une société indépendante de gestion de placements diversifiés à l'échelle mondiale. AGF apporte de la discipline en offrant l'excellence en matière de gestion de placements par l'entremise de ses volets axés sur des activités fondamentales et quantitatives de même que sur des actifs non traditionnels et des avoirs de particuliers bien nantis, afin de procurer une expérience exceptionnelle à la clientèle. La gamme de solutions d'investissement d'AGF s'étend à l'échelle mondiale à une vaste clientèle, depuis les conseillers financiers jusqu'aux investisseurs particuliers et aux investisseurs institutionnels comprenant des caisses de retraite, des programmes d'entreprise, des fonds souverains, des fonds de dotation et des fondations.

Pour de plus amples renseignements, veuillez visiter AGF.com.

Ⓒ 2021 La Société de Gestion AGF Limitée. Tous droits réservés.

Attachments

  • Original document
  • Permalink

Disclaimer

AGF Management Limited published this content on 06 April 2021 and is solely responsible for the information contained therein. Distributed by Public, unedited and unaltered, on 08 April 2021 20:03:08 UTC.