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Resserrement quantitatif : corollaire puissant, mais sous-estimé, d'une hausse des taux d'intérêt
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Le 15 mars 2022
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Comme on pouvait s'y attendre, la communauté financière - pour ne pas dire le monde entier - surveille de près les répercussions géopolitiques et économiques de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ce conflit a des conséquences sur l'Europe et sur les prix des produits de base plus sérieuses que ce que nous avons vu depuis très longtemps. Pourtant, sans vouloir atténuer sa gravité ou son lourd tribut humain, ce conflit risque de détourner les investisseurs d'un autre événement de première importance, à savoir le changement de politique monétaire le plus important depuis la crise financière mondiale.

Dans sa prochaine annonce de politique monétaire, le 16 mars, la Réserve fédérale américaine (Fed) devrait confirmer la première d'une série de hausses de taux d'intérêt cette année. Il s'agit de la première augmentation depuis 2018, une décision importante prise notamment en raison d'une inflation persistante supérieure à la tendance. Toutefois, les hausses de taux ne sont qu'un des deux termes de l'équation régissant la politique de la Fed, l'autre (que les investisseurs connaissent probablement moins) étant le resserrement quantitatif.

Cette nouvelle phase n'a pas encore commencé. (En fait, jusqu'à il y a quelques jours, la Fed achetait encore activement des obligations.) Toutefois, la Fed a suffisamment annoncé ses intentions pour que nous puissions raisonnablement commencer à esquisser certains scénarios de resserrement quantitatif, avec leurs incidences probables sur les marchés financiers et l'économie. On réalise vite que la Fed, de concert avec d'autres banques centrales en phase de resserrement quantitatif, entrera en territoire largement inconnu et y entraînera les investisseurs.

Qu'est-ce qu'un resserrement quantitatif et quand la Fed s'y attaquera-t-elle?

Lorsque la pandémie a frappé de plein fouet l'économie mondiale, la réponse de la Fed était inspirée des stratégies qu'elle avait apprises durant la grande crise financière : rabaisser les taux d'intérêt à zéro, acheter des obligations aux fins d'injections de liquidités dans l'économie et maintenir les taux obligataires à de faibles niveaux. Au cours de ces deux dernières années de pandémie, les assouplissements quantitatifs ont fait gonfler le bilan de la Fed d'environ 5 000 G$ US, qui se chiffre en ce moment à près de 9 000 G$ US au total, selon les plus récentes statistiques hebdomadaires de la banque centrale.

Le resserrement quantitatif vise à faire tout simplement l'inverse : la Fed réduira son bilan en diminuant ses placements en obligations, en réduisant dans les faits la masse monétaire et en tentant d'exercer des pressions à la hausse sur les taux. Comme nous l'avons mentionné plus haut, ce processus n'a pas encore été entamé. Les dirigeants ont clairement indiqué qu'ils n'avaient pas l'intention de le faire avant d'avoir commencé à relever les taux d'intérêt. Bref, ils préfèrent actionner les deux leviers séparément. À l'heure actuelle, la majorité des analystes s'entendent pour dire qu'il y aura une série de hausses de taux au cours de l'été, qui marquera alors le début du programme de resserrement quantitatif.

Le resserrement de politique monétaire qui devrait suivre dépendra de circonstances actuellement bien difficiles à prévoir. Le monde d'aujourd'hui est très différent de ce qu'il était il y a six mois et sera probablement très différent dans six mois.

Comment la Fed peut-elle s'y prendre?

Il existe deux méthodes principales grâce auxquelles une banque centrale peut effectuer un resserrement quantitatif. La première est une gestion passive : la banque laisse simplement les obligations arriver à échéance et ne réinvestit pas le produit dans d'autres obligations, ce qui réduit son bilan. La deuxième, consiste en une gestion active : la banque réduit son bilan en vendant directement des titres. La Fed n'a pour l'instant effectué qu'un seul resserrement quantitatif, entre 2018 et 2019, par approche passive. Ça sera également le cas cette fois-ci, mais elle n'a pas écarté la possibilité d'une gestion active.

Jusqu'où pourrait aller le resserrement quantitatif?

À 9 000 G$ US, le bilan de la Fed est très gros, pour dire les choses simplement. Celle-ci ne dispose donc pas d'une grande marge de manœuvre pour réduire ses placements. Peu d'observateurs s'attendent à une diminution en deçà du niveau d'avant la pandémie (environ 4 000 G$ US), mais une voie intermédiaire semble plausible (environ 6 500 G$ US). Si la Fed réduit graduellement son actif de 100 G$ US par mois dans le cadre du resserrement quantitatif, elle atteindra cette cible dans un peu plus de deux ans. En effet, d'après ses publications hebdomadaires, la Fed détient près de 400 G$ US de bons du Trésor arrivant à échéance dans moins de trois mois et plus de 750 G$ US d'obligations à court terme additionnelles qui atteindront leur date d'échéance dans moins d'un an. Ainsi, même une simple opération de resserrement quantitatif passive devrait réduire le bilan d'environ 1 000 G$ au cours de la prochaine année, en supposant que le réinvestissement des obligations à échéance soit graduellement réduit à zéro.

Le contexte budgétaire aux États-Unis pourrait par ailleurs améliorer la marge de manœuvre de la Fed pour réduire son bilan au-delà de ce que prévoient les marchés. Le projet de loi de plusieurs milliers de milliards de dollars du président Joe Biden, intitulé « Build Back Better » est pratiquement abandonné au Congrès et tout projet de remplacement risque de n'être qu'une ombre de l'original. Par conséquent, le déficit budgétaire sera très probablement inférieur à ce qu'il était il y a à peine un an, de sorte que le volume d'émissions d'obligations d'État n'atteindra pas celui auquel les marchés s'attendent. La situation pourrait augmenter la capacité du marché à absorber l'incidence du programme de resserrement quantitatif et atténuer en partie son impact négatif potentiel sur l'économie.

Quelle partie de son bilan la Fed ciblera-t-elle?

Les obligations du Trésor représentent la plus grande partie du bilan de la Fed, soit environ les deux tiers. Le reste se compose principalement de titres adossés à des créances hypothécaires (TACH), selon les statistiques hebdomadaires publiées par la Fed. La Fed a clairement indiqué il y a longtemps qu'elle n'avait pas à intervenir durablement sur le marché des titres adossés à des créances hypothécaires à long terme. Par conséquent, dans la mesure où elle cible une partie de ses placements plus qu'une autre, une priorité à la réduction des TACH paraît logique.

Si tel était le cas, la Fed serait presque forcée d'adopter une politique de resserrement active. Les titres adossés à des créances hypothécaires ayant généralement des échéances longues, la réduction passive de ce poste à son bilan pourrait prendre de nombreuses années. Une gestion active, par cession des titres, l'aiderait à atteindre ses cibles plus rapidement et pourrait aussi avoir un effet modérateur sur le marché américain de l'habitation - un résultat pas tout à fait indésirable du point de vue de la Fed, étant donné la surchauffe récente de l'immobilier.

Qu'en est-il des autres effets de bilan?

Jusqu'à présent, notre discussion sur le resserrement quantitatif a porté sur l'actif de la Fed. Toutefois, le passif de son bilan a également de l'importance. Le passif du bilan de la Fed, dont les postes doivent correspondre à ceux de son actif, comprend notamment le compte général du Trésor américain, les réserves bancaires et les conventions de prise en pension à un jour. Il ne s'agit pas du sujet de ce document, mais précisons que cela pourrait avoir une incidence sur la liquidité du marché et sur les prix des marchés financiers.

Qu'adviendra-t-il de la courbe des taux?

Tout dépend de si la Fed adopte une approche passive ou active. Dans ce dernier cas, elle pourrait décider de vendre des obligations à court terme ou à long terme. L'incidence serait très différente.

La vente d'obligations à court terme exacerberait l'aplanissement de la courbe, déjà constaté à presque 1 %, soit environ 30 pb (points de base), au cours des six derniers mois, en raison d'un important délestage de titres à court terme, les investisseurs ayant anticipé les hausses de taux. Les dirigeants de la Fed voudront sans doute éviter ce scénario, un aplanissement de la courbe constituant un signe assez fiable de récession.

En revanche, la vente active d'obligations de plus longue durée risque d'exercer des pressions à la hausse sur la portion à long terme de la courbe, ce qui aurait pour effet de l'accentuer plutôt que de l'aplatir. Il s'agirait évidemment d'une conséquence très souhaitable pour la banque centrale américaine, mais d'une mauvaise nouvelle pour les cours des obligations à long terme. Cela pourrait même signifier un moins grand nombre de hausses de taux d'intérêt que ce que le marché prévoit actuellement. En effet, selon certaines estimations, une réduction de plus de 2 000 G$ US du bilan de la Fed équivaudrait à trois ou quatre hausses de taux de 25 pb.

D'autres banques centrales emboîteront-elles le pas à la Réserve fédérale?

La réponse brève est oui. En fait, la Fed n'est pas la première à se démarquer par un resserrement quantitatif et les programmes similaires des autres banques centrales contribueront à l'incidence mondiale. La Banque du Canada, entre autres, a déjà présenté son approche. Au cours des deux prochaines années, elle prévoit mettre en œuvre un programme de resserrement quantitatif entièrement passif qui réduira son bilan d'environ 40 %.

Quelle est l'incidence probable sur les marchés financiers?

La situation ne sera peut-être pas aussi grave que certains le prévoient, du moins sur les marchés de titres à revenu fixe. Il est vrai que les taux obligataires risquent d'augmenter légèrement, mais le programme de resserrement quantitatif pourrait ne pas entraîner les ventes massives d'obligations que beaucoup anticipent. Cela s'explique en partie par le fait que le resserrement quantitatif pompe des liquidités hors de l'économie et a un effet ralentissant sur la croissance. Au cours du plus récent resserrement quantitatif, en 2018-2019, les taux ont augmenté au début de la phase, puis ont chuté, les investisseurs ayant pris en compte le ralentissement de la croissance économique. Cette phase de resserrement quantitatif ne constitue pas un précédent historique parfait, mais une situation semblable pourrait se produire.

Le resserrement quantitatif risque de peser lourdement sur les marchés boursiers, car la diminution de la liquidité et le ralentissement de la croissance économique pourraient se traduire par un soutien réduit des marchés de capitaux et un ralentissement de la croissance des bénéfices. Tout ralentissement de l'activité économique découlant du resserrement monétaire pourrait inciter les investisseurs à se tourner vers les secteurs défensifs de qualité supérieure et à délaisser les secteurs cycliques de qualité inférieure. Ironiquement, un ralentissement économique prononcé pourrait entraîner un retour en grâce des actions de croissance, au détriment de celles de valeur que les investisseurs ont favorisées pendant la plus grande partie de l'an dernier. Les contextes de relative morosité ont en effet été généralement favorables aux titres de sociétés ayant démontré leur capacité de croissance. Il est toutefois important de noter que les marchés boursiers ont déjà reculé à l'approche d'un resserrement de politique monétaire. Une fois que le ralentissement sera suffisamment reflété dans les cours boursiers, des occasions d'acquisition devraient se présenter, car les effets du resserrement commenceront à s'estomper.

Bien entendu, les effets négatifs sur les marchés pourraient être compensés par le succès de la Fed à trouver le juste milieu entre un resserrement excessif et un resserrement insuffisant. Il faut qu'elle parvienne dans les faits à orchestrer un atterrissage en douceur pour l'économie, en accentuant notamment la courbe à l'aide d'une approche active sans toutefois augmenter les taux autant ou aussi souvent que ce qu'on anticipe. Cela reste à voir, car la grande majorité des cycles de resserrement ont fini par donner lieu à des transitions plutôt brusques.

De toute évidence, les incertitudes ne manquent pas, mais des précisions suivront vraisemblablement à la prochaine réunion de la Fed, plus tard cette semaine. Entre-temps, il est logique de commencer à réfléchir au resserrement quantitatif pour savoir si la Fed procédera par approche active, et, le cas échéant, connaître les titres qu'elle cédera (TACH, obligations à échéances courtes ou longues). Les réponses à ces questions pourraient faire toute une différence pour les investisseurs qui se préparent en vue d'une nouvelle phase de politique monétaire.

David Stonehouse est vice-président principal et chef des investissements nord-américains et spécialisés, Placements AGF inc. Il contribue régulièrement à Perspectives AGF.

Pour en savoir plus sur nos compétences en matière de titres à revenu fixe, veuillezcliquer ici.

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