Air France-KLM mène la bataille contre de nouvelles taxes vertes qui viendraient ajouter aux difficultés du secteur aérien sur fond de crise sanitaire du coronavirus, illustration des tensions croissantes sur la politique à adopter entre secourir les compagnies aériennes européennes et atteindre les objectifs climatiques.

Le groupe franco-néerlandais, soutenu par 10,4 milliards d'euros de prêts garantis par l'Etat, fait face à des taxes plus élevées dans les marchés intérieurs et au projet de l'Union européenne d'augmenter le coût du carbone pour les compagnies aériennes.

Cette bataille dont Air France-KLM est au centre s'inscrit dans une campagne plus large de pression contre les industries hautement émettrices de carbone, alors que les efforts pour lutter contre le réchauffement climatique s'accompagnent de davantage de taxes et réglementations.

Si les activistes environnementaux estiment que l'attente n'a que trop duré, les compagnies aériennes, qui subissent de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire, préviennent que le calendrier et la sévérité des mesures vont provoquer la destruction de milliers d'emplois supplémentaires et nuire au développement de technologies émettant moins de carbone.

Les nouvelles taxes "ne soutiennent pas la réduction des émissions", a déclaré le directeur général d'Air France-KLM, Ben Smith, en réponse à la proposition d'augmenter les frais payés par les passagers français.

"En fait cela est contre-productif et nous priverait de fonds qui pourraient sinon être investis dans des projets environnementaux", a-t-il dit ce mois-ci lors d'un forum en ligne du secteur aérien.

Les tensions ne peuvent que s'accroître, alors que les objectifs d'émissions de CO2 sont durcis pour ralentir les effets désastreux du changement climatique. La Commission européenne entend désormais réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici 2030, contre un objectif initial de 40%, par rapport au niveau de 1990.

VAGUE VERTE

En France, la second tour des élections municipales, le 28 juin, a été marqué par une "vague verte", avec des victoires du parti Europe écologie-Les Verts (EELV) à Lyon, Bordeaux et Strasbourg notamment. A Marseille, la nouvelle maire, Michèle Rubirola, est issue d'EELV. Dès le lendemain, le président Emmanuel Macron a promis d'avancer sur un plan de près de 150 propositions pour l'environnement - la Convention citoyenne sur le climat.

Parmi les propositions figure une hausse de l'"écocontribution" à 30 euros pour un vol court-courrier en classe économique et à 400 euros pour un vol long-courrier en classe affaires, contre une fourchette actuelle de 1,50 euro à 18 euros. Le coût pour le secteur est estimé par des représentants à 4,2 milliards d'euros, en se basant sur le trafic aérien de 2019.

Des membres importants du gouvernement, qui a apporté une aide de 7 milliards d'euros à Air France, font marche arrière sur cette promesse alors même que le projet de loi consécutif à la convention sur le climat est en cours de rédaction.

"Ce serait ubuesque de reprendre d'une main au secteur du transport aérien ce que nous lui donnons de l'autre !", a déclaré le ministre des Finances, Bruno Le Maire, aux Echos.

Bruno Le Maire et son homologue néerlandais font partie des neuf ministres des Finances de l'UE qui avaient appelé en novembre de l'année dernière - avant la pandémie - à une "taxation" ou des mesures similaires pour réduire les émissions de CO2 en augmentant les tarifs aériens.

A partir du 1er janvier, les Pays-Bas vont instaurer une taxe pour les passagers équivalente à 220 millions d'euros avec un trafic aérien d'un niveau pré-crise du coronavirus. Par ailleurs, Greenpeace a engagé une action en justice pour que les seuils de réduction des émissions de CO2 soient plus drastiques en échange du plan d'aide de 3,4 milliards d'euros reçu par KLM.

CRÉDITS CARBONE CONTESTÉS

Les émissions de CO2 des compagnies aériennes représentent 2,5% du total mondial mais devraient tripler d'ici 2050. Dans le cadre du programme onusien CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation), l'industrie prévoit de compenser la hausse des émissions des liaisons internationales par des crédits carbone, dont les effets sont toutefois contestés.

Airbus s'est fixé 2035 comme date butoir pour mettre en service un appareil "zéro émission", mais beaucoup sont sceptiques sur ce calendrier. Les carburants synthétiques sont par ailleurs trop limités et coûteux pour offrir une solution à court terme.

Pour les vols à l'intérieur de l'Europe, les compagnies aériennes feraient face à une facture plus importante pour des crédits carbone européens dans le cadre du projet présenté ce mois-ci pour limiter les permis libres pour le secteur.

Des représentants européens ont aussi laissé entendre que les exonérations fiscales sur le kérosène prévues par des traités internationaux pourraient être supprimées - un processus qui pourrait s'étendre sur plusieurs années.

Loin de relâcher la pression sur les compagnies aériennes, les activistes appellent les gouvernements à utiliser les plans de sauvetage pour imposer une accélération du processus.

"La dépendance des compagnies aériennes à l'égard des gouvernements plaide en faveur d'une action pour réduire leurs émissions", a déclaré Andrew Murphy, de Transport & Environnement, basé à Bruxelles.

En imaginant que le rétablissement du secteur sera lent, le groupe bruxellois estime que le mécanisme de marché du programme CORSIA fixerait le prix des émissions à seulement 17 cents pour les vols long-courrier, laissant peu de marge pour encourager une réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'Organisation internationale de l'aviation civile (OIAC), l'agence onusienne à l'origine du programme, a dénoncé une "déformation grossière" de la part du groupe de recherche.

LE JUSTE PRIX

D'autres propositions de réduction des émissions pourraient diviser le secteur aérien.

Ben Smith a appelé le gouvernement français à envisager un prix minimum des billets d'avion plutôt que des taxes, prenant comme exemple le prix plancher de 40 euros récemment instauré en Autriche. "Parlons-en", a-t-il dit dans un entretien à L'Opinion.

Si l'instauration d'un prix de base peut réduire le trafic global et les émissions sans nuire aux profits ni aux emplois des compagnies aériennes traditionnelles, elle pénalise les compagnies à bas prix et les clients de celles-ci.

"Il s'agit encore d'une idée folle de la part d'une compagnie aérienne à tarif élevé qui peut survivre seulement avec plus de 10 milliards d'euros de subventions illégales de l'Etat", a déclaré la compagnie Ryanair, qui conteste devant la justice les plans de sauvetage approuvés par l'UE obtenus par ses rivaux.

"Les clients ordinaires à travers toute l'Europe ont profité et vont continuer de demander des prix bas, du choix et de la concurrence", a ajouté le géant du "low-cost" aérien.

Peu importe l'issue de ces tensions, les compagnies aériennes font face à une vague montante de coûts du carbone qui vient s'ajouter à leurs soucis actuels.

Maintenir les exonérations fiscales sur le carburant constituerait une "incohérence flagrante" avec les objectifs climatiques de l'Union, a déclaré Christian Egenhofer, du centre de réflexion CEPS, à Bruxelles.

Taxer le carburant marquerait une étape importante même si les tarifs commencent bas, a dit Egenhofer. "Vous savez ce qui se passe avec les taxes - elles augmentent toujours".

(version française Jean Terzian, édité par Blandine Hénault)

par Laurence Frost et Kate Abnett