Avant toute chose, si vous vous fichez de la bourse comme de votre premier ULM mais qu'un voisin, un professeur ou un grand-oncle vous a forcé à lire cet article, vous pouvez faire semblant et vous amuser en retrouvant huit chansons plus ou moins aériennes dans ce papier (dont deux dans l'introduction et une en deux morceaux. Solutions en bas de page).

Même si cela s'appuie uniquement sur une intuition personnelle, j'ai l'impression que le transport aérien possède la palme du secteur qui a subi le plus de calamités du XXIe siècle, du moins jusqu'à aujourd'hui. Risques liés aux attentats, risques liés à la pandémie, risques liés à la géopolitique, risques liés au changement climatique. Et même le risque volcanique (Eyjafjöll, 2010). Et je ne parle pas des risques structurels endogènes, comme la cyclicité de l'activité ou la concurrence entre transporteurs à bas-coûts et compagnies historiques.

Au milieu de tout ça, les compagnies d'origine comme Air France, KLM, British Airways (International Consolidated Airlines) ou Deutsche Lufthansa n'ont pas la partie facile. Et Air France-KLM, un peu comme un avion sans ailes, moins que les autres. D'ailleurs, il lui faudra probablement trois exercices (2020, 2021 et 2022) pour générer à nouveau des bénéfices, là où ses rivales historiques n'auront besoin que de deux années pour s'envoler à nouveau.

Mais pourquoi le groupe franco-néerlandais est-il à la traîne du secteur ?

Un peu d'histoire pour commencer. Air France et KLM ont opéré jusqu'à leur rapprochement en 2003/2004 comme des compagnies indépendantes. Les deux transporteurs ont été créés entre-deux guerres. Air France a longtemps évolué dans le giron public jusqu'à l'ouverture du capital par le gouvernement Jospin en 1999, qui a coïncidé avec l'entrée en bourse de la compagnie. La privatisation effective n'a eu lieu que lors du rapprochement avec KLM, lorsque le gouvernement Raffarin a accepté de ramener la détention de l'Etat de 54,4 à 44%. Actuellement, la France détient 28,6% du capital du groupe Air France-KLM, devant China Eastern Airlines (9,6%), les Pays-Bas (9,3%) et Delta Air Lines (5,8%). Cette nouvelle répartition tient compte des levées de fonds réalisées depuis le début de la pandémie, pour maintenir la compagnie d'aplomb.

Un B787 flambant neuf
Un B787 flambant neuf (Photothèque Air France)

Dans le monde aérien récent, Air France est synonyme de grève et/ou de retards dignes du lapin blanc d'Alice. Et KLM de rigueur batave. C'est réducteur mais c'est comme ça. Air France a toujours été un animal politique avec des représentations salariales fortes. La branche néerlandaise n'est pas dénuée de frictions sociales, mais la culture d'entreprise y est un peu différente. La présence d'un actionnariat public élevé a tendance à effrayer les investisseurs, notamment anglo-saxons. D'autant qu'il s'est accru dernièrement. En 2017, l'Etat français ne détenait plus que 14,3% du capital et l'Etat néerlandais n'était pas présent au capital. Quatre ans plus tard, les deux Etats possèdent donc ensemble 38% du tour de table, par le jeu des recapitalisations et de la volonté de La Haye de ne pas laisser Paris prendre trop d'influence.

Je t'aime, moi non plus

Car les relations entre Air France et KLM ne sont pas toujours simples, près de 18 ans après leur mariage de raison. En particulier parce que la composante néerlandaise est plus rentable que la composante française. Il n'y a jamais eu d'intégration poussée, si bien que des disparités importantes demeurent et que le groupe affiche la base de coûts fixes la plus élevée du secteur aux dires des analystes. Ce qui le rend évidemment plus sensible à toutes les fluctuations que j'ai citées plus haut. Les performances financières en dents de scie, les négociations sociales compliquées et les levées de fonds à répétition expliquent qu'Air France-KLM ne figure qu'au 16e rang des compagnies aériennes occidentales en matière de capitalisation, alors qu'elle était 5e mondiale en matière de revenus en 2019, selon Airline Business.

Le divorce entre la compagnie et les marchés ne date pas d'hier, mais il s'est accentué sur la période récente, comme l'illustre le graphique qui suit.

Trois ans de calvaire

Trois ans de calvaire

Les années de retour au bénéfices (2015 à 2019) n'ont pas permis de renouer avec les cours atteints juste avant la crise des subprimes, huit à neuf fois supérieurs aux niveaux actuels. Avec des marges inférieures à la concurrence, un retour à la rentabilité décalé, la présence de deux pays au capital et un endettement XXL, pas de quoi entrevoir tout de suite une nuit sauvage en bourse pour les investisseurs. Les analystes sont au diapason : Air France-KLM se situe tout en bas des "charts" de recommandations du moment, avec un ratio conseils à l'achat / conseils à la vente abyssal. 

Des résultats qui fluctuent (EBIT du groupe sur 10 ans)
Des résultats qui fluctuent (EBIT du groupe sur 10 ans / Source Zonebourse)

Quelques éléments positifs quand même pour terminer par une pirouette. En réalité, Air France-KLM est plutôt une compagnie bien considérée par les passagers. Un classement réalisé par UBS montre que la compagnie française émarge au 7e rang européen sur 19 sur une analyse multicritère de satisfaction, pour une 4e place à la division néerlandaise. Les deux hubs de Roissy et Schiphol sont modernes et bien placés. Et la flotte est en cours de modernisation, avec une commande récente de 100 gros avions à réaction, de la famille A320 (en réalité ce sont des moyens avions à réaction, mais il me fallait un gros avion à réaction pour le défi musical).

"Fallait pas l'inviter" identifie des entreprises plutôt qualitatives qui traversent une passe compliquée en bourse (ou modérément qualitatives, me rétorquerez-vous probablement dans le cas d'Air France-KLM, qui a l'air de partir en cacahuète). Sait-on jamais, elles pourraient s'en remettre ! Les derniers articles de la rubrique :

Et la liste des chansons qu'il fallait retrouver :