Un groupe issu d'une telle fusion afficherait plus de 72 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur la base des résultats 2011, dépassant ainsi l'américain Boeing, tout en affichant une répartition plus équilibrée entre activités civiles et militaires.

"Ce rapprochement éventuel serait mis en oeuvre par la création d'une nouvelle structure juridique à double cotation, au sein de laquelle les deux entreprises fonctionneraient comme un seul groupe", a précisé BAE Systems dans un communiqué.

Les actionnaires actuels de BAE détiendraient 40% du capital du nouvel ensemble et ceux d'EADS les 60% restants, a ajouté le groupe britannique. Un ratio proche du rapport actuel entre les capitalisations boursières actuelles des deux groupes (24,5 milliards d'euros pour EADS, 13,3 milliards pour BAE).

BAE Systems et EADS précisent prévoir l'émission d'actions spéciales au bénéfice des gouvernements français, allemand et britannique. Les deux groupes remplaceraient aussi l'action actuellement détenue par le gouvernement britannique dans BAE et le pacte d'actionnaires d'EADS.

Des sources proches des discussions ont expliqué que celles-ci avaient réellement débuté en juin mais que la conclusion d'un accord n'était pas acquise en raison de la multiplicité des obstacles potentiels, qu'ils touchent à la réglementation, à la sécurité ou aux différences culturelles.

"Personne ne veut vendre la peau de l'ours pour l'instant car il s'agit d'une opération très complexe, qui comporte de nombreux écueils possibles, notamment ceux liés aux Etats", a expliqué une source britannique proche des pourparlers.

Une source proche d'EADS a expliqué que les discussions avaient débuté à l'initiative notamment de Marwan Lahoud, le directeur général délégué à la stratégie et au marketing d'EADS.

Le ministre français de l'Economie, Pierre Moscovici, a pris acte de l'annonce des discussions, ajoutant que "l'Etat, actionnaire indirect d'EADS, se prononcera le moment venu en vertu des conventions en vigueur régissant la gouvernance d'EADS".

L'Etat français possède en effet 15% du capital du groupe par l'intermédiaire de la holding Sogeade).

De son côté, gouvernement britannique a pour sa part fait savoir qu'il veillerait à ce qu'un éventuel rapprochement serve l'intérêt public.

Le groupe Lagardère, qui souhaiterait se désengager d'EADS, dont il contrôle 7,5% du capital, n'a pas souhaité faire de commentaire dans l'immédiat. Arnaud Lagardère, gérant commandité du groupe, préside depuis cet été le conseil d'administration d'EADS.

72 MILLIARDS D'EUROS DE CHIFFRE D'AFFAIRES

Le grand actionnaire allemand du groupe, Daimler a réaffirmé quant à lui son intention de réduire sa participation d'ici la fin de l'année.

Il est prévu depuis plusieurs mois que Daimler cède 7,5% du capital d'EADS à la banque publique KfW, afin de préserver l'équilibre franco-allemand au tour de table.

Cet équilibre a, ces dernières années, été source de tensions entre les deux rives du Rhin sur la gouvernance du groupe, notamment au sujet du transfert du siège social à Toulouse, en France.

EADS a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de 49,1 milliards d'euros, contre 23,9 milliards pour BAE Systems. Les deux groupes emploient 220.000 personnes dans le monde.

A titre de comparaison, le chiffre d'affaires de Boeing a atteint l'an dernier 68,7 milliards de dollars (53,3 milliards d'euros) et celui de Lockheed Martin, un autre grand nom américain de la défense, 46,5 milliards de dollars.

Le directeur général de Boeing, Jim McNerney, a déclaré que son groupe ne se sentait pas menacé et que les discussions annoncées entre EADS et BAE reflétaient un mouvement mondial de consolidation dans l'industrie de la défense lié à la baisse des budgets militaires des deux côtés de l'Atlantique.

BAE Systems et EADS sont déjà alliés entre autres dans le cadre du programme d'avion de chasse européen Eurofighter et de la coentreprise de missiles MBDA. Un rapprochement marquerait aussi le retour de BAE au sein d'Airbus et de ses sites britanniques. Le groupe britannique avait vendu en 2006 ses 20% dans le consortium.

"On ne sait pas encore s'il y aura in fine une opération. Socialement, ça ne va pas être simple, surtout dans la défense. Il n'y a qu'à regarder en arrière, lorsque Boeing avait racheté McDonnell Douglas, et ce n'était que dans un seul pays !", a déclaré à Reuters une source industrielle.

"D'autre part sur les programmes d'avions de combat, l'Eurofighter et le Rafale sont trop avancés pour que l'on en mette un à terre maintenant, les armées française et britannique qui les utilisent ne le comprendraient pas. Pour la génération suivante, ça peut avoir du sens mais on n'est pas sur des mises en service avant 2030-2040", a-t-elle ajouté.

"Il est trop tôt pour dire comment le secteur de la défense pourrait se recomposer ; dans le contexte actuel, un rapprochement de ce genre va dans le sens de l'Histoire. Ce sera mis en avant comme un progrès européen."

EN BOURSE, BAE A BONDI, EADS A CHUTÉ

Les deux entreprises expliquent qu'en raison du caractère sensible de leurs activités de défense dans de nombreux pays, des Etats-Unis à l'Arabie saoudite en passant par l'Australie, ils ont engagé des consultations avec plusieurs gouvernements sur leur projet.

En cas de fusion, les activités de défense seraient cantonnées en accord avec les gouvernements concernés en fonction de leur importance en matière de sécurité nationale, notamment aux Etats-Unis étant donné l'importance de ce marché pour le groupe.

Le Pentagone a déclaré ne pas avoir été informé de l'existence du projet EADS-BAE, ajoutant qu'il étudierait toute proposition qui lui serait soumise.

Une fusion EADS-BAE ne devrait pas poser de problème de concurrence aux Etats-Unis en raison du chiffre d'affaires relativement limité réalisé par EADS sur le marché américain de la défense, ont déclaré deux sources proches du projet.

Loren Thompson, consultant spécialisé basé aux Etats-Unis, explique qu'une fusion des deux groupes européens créerait un ensemble au sein duquel les activités civiles et de défense afficheraient seraient équilibrées, se rapprochant ainsi du modèle adopté par Boeing il y a plusieurs années.

En Bourse, l'action BAE avait terminé en hausse de 10,62% à Londres avant l'annonce officielle des discussions, portée par des rumeurs de marché. Le volume d'échanges sur la valeur a été plus de six fois supérieure à sa moyenne quotidienne sur 90 jours.

A Paris, l'action EADS a fini en recul de 5,63% à 28 euros, accusant ainsi la plus forte baisse de l'indice CAC 40. Le titre Lagardère a pris 4,82%.

Bien que certains investisseurs aient souhaité une combinaison dans certains domaines d'activités, "je ne suis pas sûr qu'une fusion totale avec BAE soit ce que les actionnaires d'EADS veulent", a commenté Yan Dérocles, analyste chez Oddo Securities à Paris.

A New York, Boeing a cédé 0,44%.

Avec Andrea Shalal-Esa et Tim Hepher à Washington, Julien Ponthus, Gwenaelle Barzic et Laurence Frost à Paris, Victoria Bryan et Maria Sheehan à Berlin; Dominique Rodriguez et Marc Angrand pour le service français

par Rhys Jones et Victoria Bryan