Les industriels de l’aéronautique ont tenté jeudi de contenir une série de tensions croissantes, après qu’un organisme mené par Airbus a exhorté l’Union européenne à répondre aux nouveaux droits de douane imposés par le président américain Donald Trump, tandis qu’une des plus grandes compagnies aériennes européennes a mis en garde contre une hausse des prix des billets.

Les avions, moteurs, pièces détachées et composants, allant des trains d’atterrissage aux sièges, sont exposés à une hausse des coûts, ce qui pourrait perturber les préparatifs pour la haute saison estivale, ont alerté plusieurs experts du secteur.

“Ce sera chaotique. Cela crée une incertitude énorme en matière de demande, alors que les compagnies aériennes planifient leurs réseaux”, a déclaré Rob Morris, directeur mondial du cabinet de conseil Cirium Ascend, basé au Royaume-Uni.

Mercredi, Donald Trump a imposé des droits de douane généralisés sur les importations aux États-Unis, incluant une taxe de 20% sur les produits européens et de 10% sur ceux en provenance du Royaume-Uni, où est implanté le motoriste Rolls-Royce. Cette décision, plus sévère que prévu, a ébranlé un secteur aéronautique mondial pesant 150 milliards de dollars par an, pilier essentiel de l’économie globale.

Une trêve difficile à tenir

Airbus, basé en France, et son rival américain Boeing sont depuis des années au cœur des tensions commerciales, notamment via un différend sur les subventions porté devant l’OMC pendant 17 ans, avant une trêve de cinq ans décrétée en 2021. Mais avec des chaînes d’approvisionnement encore fragilisées par la pandémie de COVID-19, les deux avionneurs évitent de relancer un conflit qui pourrait freiner la reprise du secteur.

Selon une source proche du dossier, l’industrie aéronautique française a écrit à la Commission européenne pour demander des contre-mesures “proportionnées et fermes” si les nouveaux droits de douane américains causent un préjudice significatif. Toutefois, la puissante association Gifas, présidée en alternance par Airbus, appelle également à calibrer toute riposte afin de ne pas pénaliser les entreprises européennes fortement dépendantes des importations américaines. Gifas n’a pas commenté cette initiative.

La Commission européenne, de son côté, s’est référée aux déclarations de sa présidente Ursula von der Leyen, qui a affirmé que l’UE était prête à réagir si les discussions avec Washington échouaient.

Le ton de la lettre illustre la position délicate de la France, au centre d’un écosystème interconnecté d’avions et de moteurs. Les analystes estiment que cette démarche vise notamment à atténuer l’impact potentiel des taxes sur le secteur des moteurs, tout aussi interdépendant que concurrentiel.

Basé à Toulouse, Airbus est le deuxième exportateur français derrière l’agroalimentaire, et se dispute le marché avec Boeing. Mais la France abrite aussi CFM International, le plus grand fabricant de moteurs d’avion au monde en volume. Cette coentreprise transatlantique de 50 ans, détenue à parts égales par Safran et GE Aerospace, fournit à la fois Airbus et Boeing, tout en restant jusqu’ici à l’écart des conflits commerciaux.

Airbus compte également parmi ses fournisseurs Pratt & Whitney (filiale de RTX, aux États-Unis), qui collabore étroitement avec l’allemand MTU. De son côté, Boeing importe certains moteurs de Rolls-Royce ainsi que des composants européens pour équiper son 777.

Un silence de glace

Aucun de ces groupes n’a fait de commentaire sur la nouvelle salve de tarifs. Mais les analystes préviennent : les coûts liés aux moteurs se répercuteront inévitablement sur l’ensemble du prix des avions, indépendamment d’une réponse de l’UE.

“Si la guerre des tarifs s’étend aux avions ou à leurs pièces détachées, cela entraînera clairement des coûts plus élevés pour notre compagnie aérienne et des billets plus chers pour nos clients”, a déclaré Michael O’Leary, PDG de la compagnie à bas prix Ryanair, au micro de Newstalk Breakfast en Irlande.

“Airbus et ses pairs sont vulnérables aux droits de douane, aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement et aux caprices des politiques protectionnistes. Compte tenu de l'impact des droits de douane imposés par Trump, il est clair que le secteur aérospatial est confronté à de sérieux risques. Le lobby aérospatial français appelle à des contre-mesures « énergiques », mais la réalité est sans appel : les représailles pourraient aggraver le conflit d'une manière que l'Europe ne peut se permettre.” détaille Saïma Hussain, analyste chez AlphaValue

Jusqu’à récemment, les avionneurs pensaient encore que leur secteur serait épargné par ce nouvel épisode de tensions commerciales. O’Leary avait même jugé les tarifs peu probables après une rencontre avec un haut dirigeant de Boeing la semaine dernière.

Le PDG de Boeing, Kelly Ortberg, avait quant à lui averti une commission du Sénat, quelques heures seulement avant l’annonce des nouveaux droits, qu’il était crucial pour Boeing d’éviter une situation dans laquelle certains marchés deviendraient inaccessibles.

Selon les données de Boeing et Cirium, l’avionneur américain livre environ 17% de ses appareils à l’Europe, tandis qu’Airbus en expédie 12% vers les États-Unis, une partie étant assemblée sur place.