PARIS (Reuters) - Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a fait part mercredi de ses réticences devant le projet de rapprochement formulé dans la journée par le canadien Alimentation Couche-Tard au français Carrefour.

Évaluée à 16,2 milliards d'euros, l'opération a fait bondir 13,39% à 17,54 euros le titre de Carrefour à la Bourse de Paris, mais il n'a pas suscité un grand enthousiasme à Paris où l'on dit redouter que le projet pénalise la souveraineté alimentaire de la France.

"Ce qui est en jeu, c'est la souveraineté alimentaire des Français, donc, de ce point de vue là - l'idée que Carrefour puisse être racheté par un concurrent étranger - a priori, je ne suis pas favorable à cette opération", a déclaré Bruno Le Maire sur France 5.

"Lorsque nous avons examiné la loi Pacte, nous avons complété le décret sur les investissements étrangers en France et nous avons ajouté mot pour mot que la distribution alimentaire est soumise à accord préalable du ministre de l'Economie et des Finances quant il y a une opération de ce type-là", a-t-il ajouté, évoquant le texte relatif à la croissance et la transformation des entreprises, adopté en mai 2019.

Conseillé par Rothschild, le groupe québécois dit avoir présenté une offre non contraignante à Carrefour, qui travaille avec Lazard, en vue d'un rapprochement amical, basé sur un prix de 20 euros par action, qui serait en grande partie en numéraire, sans plus de précisions sur la stratégie du futur ensemble.

Selon une source de Reuters, les 20 euros proposés par action sont jugés insuffisants tout en étant considérés comme une base de départ intéressante. Selon cette source, les premiers contacts entre les deux groupes ont été noués à la fin 2020.

Face à la concurrence des géants du commerce en ligne comme Amazon, la pression s'intensifie pour que les distributeurs traditionnels se rapprochent. Les analystes s'interrogent cependant sur les économies potentielles qui résulteraient de cette opération.

Couche-Tard exploite essentiellement des magasins de proximité et des stations services en Amérique du Nord, tandis que Carrefour, premier distributeur européen, dispose lui d'hypermarchés généralement à l'extérieur des villes.

"Au regard de la nature et de la localisation des activités d'ATD (Alimentation Couche-Tard), nous voyons peu de possibilités de synergies", écrivent les analystes de Citi, notant que la situation concurrentielle en France fait de ce pays un marché particulièrement difficile.

Les modalités du projet font toujours l'objet de discussions, a déclaré Couche-Tard dans un communiqué.

"Carrefour a été approché, dans une démarche amicale, par le groupe Alimentation Couche-Tard pour un projet de rapprochement. Les discussions sont très préliminaires", a confirmé Carrefour dans un communiqué distinct.

D'après l'agence Bloomberg, qui a révélé ces discussions en citant des personnes informées, il n'est pas certain que les délibérations actuelles aboutissent à une transaction.

"Tout en reconnaissant la piètre performance boursière de Carrefour, nous n'attendons pas de Carrefour qu'il renonce à son indépendance pour moins de 20 euros par action", estiment les analystes de Citi.

LOGIQUE STRATÉGIQUE

Carrefour emploie plus de 320.000 personnes dans le monde, dont 105.000 en France, son premier marché. C'est également le premier employeur privé de France.

Carrefour est au milieu d'un vaste plan de restructuration lancé en 2018 prévoyant des réductions de coûts et le développement du commerce en ligne.

Le groupe s'est également développé dans les magasins de proximité pour réduire sa dépendance aux grands hypermarchés qui constituent encore l'essentiel de ses ventes.

Dans une note, les analystes de Raymond James disent avoir du mal à percevoir l'intérêt stratégique pour Couche-Tard d'un rachat de l'ensemble de Carrefour "étant donné qu'une part importante des opérations de Carrefour se fait dans des formats que Couche-Tard n'exploite pas actuellement".

"Si l'on ne considère que le segment des magasins de proximité, on peut mieux comprendre la logique stratégique (en fonction, bien sûr, du prix final)", écrivent-ils.

Alors que le secteur de l'alimentation à travers le monde profite du bond de la demande liée aux mesures de confinement destinées à enrayer l'épidémie de coronavirus, Carrefour a fait état d'un redressement de la situation en France, le PDG Alexandre Bompard ayant fait de la reprise des ventes des hypermarchés une priorité.

Au troisième trimestre 2020, le groupe a annoncé sa meilleure performance trimestrielle depuis au moins vingt ans grâce à la France, mais aussi l'Espagne et le Brésil.

Alexandre Bompard a souligné à plusieurs reprises qu'une consolidation du secteur était nécessaire et que sa mission était que Carrefour en sorte vainqueur.

(avec Arghyadeep Dutta à Bangalore; version française Jean Terzian, Jean-Stéphane Brosse, Blandine Hénault et Claude Chendjou, avec Michel Rose, édité par Jean-Michel Bélot)

par Dominique Vidalon